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elle se résout tous les jours en France depuis un siècle, surtout depuis un demi-siècle. Elle se résout par toutes les lois libérales, bienfaisantes, humaines, qui ont été déjà faites pour améliorer la condition des ouvriers. Elle se résout naturellement, pratiquement, plus que jamais par cet ensemble de lois nouvelles qu’on ne cesse de voter ou qu’on étudie encore sur le travail des femmes et des enfans, sur les assurances ouvrières, sur les retraites, sur les accidens du travail. C’est là l’œuvre utile de prévoyance qu’on peut poursuivre, — à condition cependant de ne pas faire intervenir l’Etat partout. Le reste n’est qu’une supercherie de parti pour capter ou retenir des électeurs, une manière de se préparer d’inévitables mécomptes, et peut-être de provoquer des violences comme celles qui ont signalé, heureusement sur des points isolés en France, cette journée du 1er mai.

Ce qui fait la nouveauté et ce qui reste le caractère de ces manifestations du 1er mai, c’est leur universalité, c’est le principe de solidarité qu’elles révèlent entre toutes les populations ouvrières de l’Europe. Au demeurant, si ces manifestations prévues, organisées d’avance, se sont produites presque partout, elles se sont passées, sinon partout, du moins dans bien des pays, sans trouble et sans agitation sérieuse. En Allemagne, malgré le souvenir de grèves récentes et assez violentes dans la Westphalie, malgré l’impatience que semblaient montrer les délégués allemands au dernier congrès tenu à Paris il y a un mois, la journée a été assez paisible. Les chefs socialistes s’étaient montrés peu favorables à un vaste déploiement des masses populaires, et, par le fait, s’il y a eu quelques processions à Hambourg ou dans quelques autres villes, — à Berlin, les ouvriers se sont bornés à aller à la campagne et à fêter le 1er mai dans les cabarets. La crainte salutaire des répressions a été peut-être la meilleure gardienne de la paix. En Angleterre, où l’on est fort pratique, où l’on ne perd pas aisément un jour de travail, la manifestation a été ajournée au dimanche. Elle a été nombreuse, populeuse, bruyante, et peu décisive. En Espagne, s’il y a eu des menaces de troubles sur divers points, en Catalogne, surtout à Barcelone, à Valladolid, les mesures militaires qui avaient été prises ont découragé les agitateurs et tout a fini sans collisions. En Autriche, en Suisse, les manifestations n’ont été que partielles et peu sérieuses. Le 1er mai a trompé les calculs de ceux qui voyaient déjà l’Europe en combustion. Il y a cependant deux pays où tout ne s’est pas passé aussi paisiblement et sans incidens : ces deux pays sont la Belgique et l’Italie.

A la vérité, ce n’est pas au premier instant, dès le 1er mai, que le mouvement a éclaté en Belgique. Tout s’est borné ce jour-là à des manifestations et à des processions qui ont pu se promener librement à Bruxelles ou à Liège. Ce n’est que le lendemain et les jours suivans que tout s’est aggravé rapidement, et on peut dire de plus qu’ici le