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déclarée, ils démêlent sa volonté profonde, latente et future ; s’ils la jugent insuffisante ou douteuse, ils ajournent ou empêchent la profession finale : « Mon enfant, attendez, votre vocation n’est pas encore définitive ; » ou bien : « Mon ami, vous n’étiez pas fait pour le couvent, rentrez dans le monde. » — Jamais contrat social n’a été souscrit à meilleur escient, par un choix plus réfléchi, après une délibération si attentive : les conditions que la théorie révolutionnaire exigeait de l’association humaine sont toutes remplies, et le songe des jacobins se réalise. Mais ce n’est pas sur le terrain qu’ils lui assignaient ; par un contraste étrange et qui semble une ironie de l’histoire, ce rêve de la raison spéculative n’a produit dans l’ordre laïque que des plans tracés sur le papier, une Déclaration des droits décevante et dangereuse, des appels à l’insurrection ou à la dictature, des organismes incohérens ou morts-nés, bref des avortons ou des monstres; dans l’ordre religieux, il ajoute au monde vivant des milliers de créatures vivantes, indéfiniment viables. En sorte que, parmi les effets de la révolution française, l’un des principaux et des plus durables est la restauration des instituts monastiques.

De toutes parts, et sans interruption, depuis le Consulat jusqu’aujourd’hui, on les voit surgir et se multiplier. Tantôt, sur les vieux troncs que la hache révolutionnaire avait tranchés, des bourgeons nouveaux repoussent et pullulent. En 1800, « rétablir[1] une corporation choquait toutes les idées du temps. » Mais les bons administrateurs du Consulat avaient besoin, pour leurs hôpitaux, de servantes volontaires : à Paris, le ministre Chaptal découvre une supérieure qu’il a jadis connue, la charge de réunir dix ou douze de ses compagnes survivantes, les installe rue du Vieux-Colombier, dans une maison qui appartient aux hôpitaux, et qu’il aménage pour 40 novices; à Lyon, il remarque que les sœurs de l’hôpital général ont dû, pour continuer leur service, s’habiller en laïques ; il les autorise à reprendre leur costume et leurs croix ; il leur donne 2,000 francs pour acheter le nécessaire, et, quand elles ont revêtu leur ancien uniforme, il les présente au Premier Consul. Voilà, sur l’institut de Saint-Vincent de Paule, à Paris, et sur l’institut de Saint-Charles, à Lyon, le premier bourgeon renaissant, bien petit et bien faible. De nos jours[2], la congrégation de Saint-Charles,

  1. Notes (inédites) par le comte Chaptal.
  2. État des congrégations, communautés et associations religieuses, autorisées et non autorisées, dressé en exécution de l’article 12 de la loi du 28 décembre 1876. (Imprimerie nationale, 1878.) — L’Institut des frères des écoles chrétiennes, par Eugène Rendu (1882), p. 10. — Th.-W. Allies, Journal d’un voyage en France, p. 81. (Conversation avec le frère Philippe, 16 juillet 1845.) — Statistique de l’institut des Frères des Écoles chrétiennes, au 31 décembre 1888. (Dressé par la maison mère.) Sur les 121 maisons de 1789, il y en avait 117 en France et 4 dans les colonies. Sur les 1,286 maisons de 1888, il y en a 1,010 en France et dans les colonies; les 276 autres sont à l’étranger.