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plus définitive. Aux articles de loi qui le composent pour l’Église grecque et slave, treize conciles ultérieurs en ont ajouté beaucoup d’autres, et les deux dogmes principaux décrétés par les deux derniers conciles, la Transsubstantiation par celui de Trente, et l’Infaillibilité du pape par celui du Vatican, sont justement les mieux faits pour empêcher à jamais toute réconciliation de la science et de la foi.

Ainsi, pour les nations catholiques, le désaccord, au lieu de s’atténuer, s’aggrave ; les deux tableaux peints, l’un par la foi et l’autre par la science, deviennent de plus en plus dissemblables, et la contradiction intime des deux conceptions devient flagrante par leur développement même, chacune d’elles se développant à part, et toutes les deux en des sens opposés, l’une par ses décisions dogmatiques et par le resserrement de sa discipline, l’autre par ses découvertes croissantes et par ses applications utiles, chacune d’elles ajoutant tous les jours à son autorité, l’une par ses inventions précieuses, l’autre par ses bonnes œuvres, chacune d’elles étant reconnue pour ce qu’elle est, l’une comme la maîtresse enseignante des vérités positives, l’autre comme la maîtresse dirigeante de la morale efficace. De là, dans l’âme de chaque catholique, un combat et des anxiétés douloureuses : laquelle des deux conceptions faut-il prendre pour guide ? Pour tout esprit sincère et capable de les embrasser à la fois, chacune d’elles est irréductible à l’autre. Chez le vulgaire, incapable de les penser ensemble, elles vivent côte à côte et ne s’entre-choquent pas, sauf par intervalles et quand, pour agir, il faut opter. Plusieurs, intelligens, instruits et même savans, notamment des spécialistes, évitent de les confronter, l’une étant le soutien de leur raison, et l’autre la gardienne de leur conscience ; entre elles, et pour prévenir les conflits possibles, ils interposent d’avance un mur de séparation, « une cloison étanche[1], » qui les empêche de se rencontrer et de se heurter. D’autres enfin, politiques habiles ou peu clairvoyans, essaient de les accorder, soit en assignant à chacune son domaine et en lui interdisant l’accès de l’autre, soit en joignant les deux domaines par des simulacres de ponts, par des apparences d’escaliers, par ces communications illusoires que la fantasmagorie de la parole humaine peut toujours établir entre les choses incompatibles, et qui procurent à l’homme, sinon la possession d’une vérité, du moins la jouissance d’un mot. Sur ces âmes incertaines, inconséquentes et tiraillées, l’ascendant de la foi catholique est plus ou moins faible ou fort, selon les circonstances, les lieux, les temps, les individus et les groupes ; il a diminué dans le groupe large, et grandi dans le groupe restreint.

  1. Mot de M. Renan à propos de l’abbé Lehir, savant professeur d’hébreu.