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les études classiques reprirent subitement l’avantage, et que l’Allemagne donna le spectacle imprévu d’une seconde renaissance de l’humanisme. Le fait mérite d’être expliqué, car toutes les autres nations de l’Europe en ont plus ou moins vite ressenti le contrecoup.

Au milieu de l’abaissement général, les universités s’étaient maintenues ; elles s’étaient même augmentées en nombre, grâce au morcellement du pays et à la rivalité des princes, désireux de créer des centres d’instruction dans leurs états. Cette multiplicité présentait une chance favorable au progrès, car, parmi vingt ou vingt-cinq établissemens indépendans l’un de l’autre, il suffisait que, sur un ou deux points, des conditions meilleures s’offrissent au travail. C’est par les sciences mathématiques et physiques que le réveil commença ; on en sent les premiers efforts dès le début du XVIIIE siècle : puis le mouvement se communiqua aux lettres. Les universités de Göttingue et de Leipzig sont le théâtre de cette reprise, dont les savans Gesner et Ernesti furent les premiers promoteurs. Des élèves ne tardèrent pas à se trouver. La plupart sortaient de ces écoles princières ou Fürstenschulen qui avaient été sauvées du naufrage, et qui, continuant une existence obscure, gardaient, grâce à l’oubli où elles étaient laissées, la tradition de la renaissance. On y continuait les anciens exercices. Ce n’est pas toujours un bien pour une nation de posséder un système d’instruction qui se modifie sur un coup de baguette d’un bout du pays à l’autre. Il est bon qu’il y ait quelques places de refuge où l’on conserve ce qui est dédaigné ailleurs, car l’histoire de l’éducation est féconde en retours, et de toutes les organisations la moins favorable au progrès est celle qui, à un jour donné, établit partout le même régime et le même niveau.

Cependant, telles étaient les préventions, que Gesner et Ernesti furent d’abord obligés d’invoquer des motifs d’utilité pratique. Ils recommandent leur enseignement à peu près par les mêmes raisons que faisait Rollin en France. Le premier qui osa frayer une voie nouvelle fut le philosophe et poète Herder.

Le biais pris par Herder est vraiment extraordinaire. Il greffa les études anciennes sur la philosophie de Rousseau. On connaît les théories de ce dernier : « Tout est bien, sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme… » Herder vint et dit : « La nature et la Grèce, c’est tout un. Le Grec, c’est l’homme tel qu’il est sorti des mains de la nature. » Il faut donc nous assimiler les écrits des Grecs pour en faire passer l’esprit dans le cœur de la jeunesse et pour développer en elle la semence de l’humanité : Bildung zur Humaniät, tel est le dernier mot de l’éducation. Comme Athènes, selon l’expression de Thucydide, est le musée et le Prytanée des Grecs, ainsi les Grecs doivent