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a pas d’homme dans le monde dont je respecte plus la probité, l’équité et la modération. Je n’ai vu dans qui que ce soit une égalité d’âme si parfaite... Il ne veut point de feu dans sa chambre ; il aime mieux aller à pied qu’en carrosse et s’asseoir sur une chaise que dans un fauteuil. Point de parade ; pas un mot qui tende à annoncer ce qu’il est... Le dictionnaire de toute sa famille est formé sur ses pensées; c’est-à-dire qu’il se borne aux expressions de la décence, de l’honnêteté, d’une politesse sincère, mais froide. Point d’exclamation, point d’expressions vives. Il n’y a que ma mère qui sache exagérer. Vous devriez voir comme on m’entend peu quand je me laisse aller à mes indignations ou à mes enthousiasmes. C’est, en vérité, une chose étonnante que je m’appelle Hollandaise et Tuyll. Il faut que la Providence ait absolument voulu que je fusse ce que je suis. »

« Également généreuse et plus vive, ma mère oublie quelquefois combien elle aime sa fille, mais elle ne l’oublie pas longtemps. Je sais mieux la remuer et je lui par le plus vrai qu’à mon père. Je fais ses chagrins quelquefois, mais je fais ses consolations, ses joies, son amusement; elle ne peut vivre sans sa fille. Elle est aimable quand elle veut, elle a de l’esprit, du sens, et même de très jolies saillies... »

« Je viens de me quereller avec ma chère mère, et si vivement que j’ai refusé de l’accompagner à l’église; je raccommoderai cela dans une heure ou deux... Au lieu de pénitence, je partage délicieusement ma solitude entre vous et une tasse de café. »

Et quelques heures plus tard elle reprend :

« Au lieu de reproches et d’excuses, nous avons éclaté de rire, ma mère et moi, quand nous nous sommes revues. Elle m’a dit que je n’avais rien perdu au sermon... » — « c’est avec moi qu’elle aime à rire, à muser, à se promener, malgré mes hérésies. On ne peut se passer de moi. Ma sœur a beau être beaucoup plus orthodoxe et plus décente, elle n’amuse pas et on n’aime pas tant son cœur que le mien. »

Cette sœur cadette, qu’elle appelle « prude et redoutable, » se maria avant elle et devint Mme de Perponcher. Isabelle ne paraît pas s’entendre beaucoup mieux avec ses deux frères aînés, Vincent et Guillaume, et raille volontiers leur flegme de Hollandais authentiques : «Mon frère est, dites-vous, sans vivacité. Eh bien, tant mieux! Que ferait-il de vivacité dans sa patrie? Ici, l’on est vif tout seul. » — Elle reproche à l’un d’être m froid, civil et systématique, » à l’autre d’être « inégal, souvent dur et impoli. » — En revanche, elle a un attachement profond pour le cadet, son cher