Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/611

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ditie (Théodore). Il avait embrassé assez jeune la profession de marin, et lorsqu’il revenait passer quelques semaines à Utrecht, une étroite et douce intimité régnait entre sa sœur et lui : « De toute ma journée, il n’est point de temps mieux employé que celui que je passe à lire et à causer avec mon frère. Il a seize ans, il est aimable, pénétrant, modeste, gai, mille fois plus réfléchi et plus prudent que moi... Je crois que j’apprendrai à jouer du luth quand je n’aurai plus mon frère. Ne voilà-t-il pas une plaisante consolation ! »

Isabelle s’efforçait loyalement de se mettre au ton de la maison, mais ne pouvait parvenir à discipliner sa vive nature : « Je me désespère contre moi-même de ne pouvoir acquérir, malgré les meilleures intentions qui entrèrent jamais dans aucun cœur du monde, cette douceur et ce sens froid qui préviennent et écartent tous les sujets d’humeur... Souvent il semblerait qu’on ne peut se passer de mon avis, et quand je le dis avec cette misérable vivacité qui m’est naturelle, je déplais et je fâche. »

On lui reprochait aussi ses longues rêveries, ses flâneries d’artiste, ses heures perdues à bavarder auprès de sa mère ; elle répondait par de petits vers assez gentiment tournés :


Ma mère, pensez, je vous prie,
Pensez qu’avec vous je m’oublie.
S’oublier avec un amant,
C’est là, dit-on, chose ordinaire;
Mais s’oublier... avec sa mère
N’arrive pas si fréquemment!
... Il est des momens favoris
De liberté, de confiance.
Où les amis sont plus amis.
Où l’on dit mieux ce que l’on pense.
Ensuite, on rêve, et ce silence
Vaut mieux que le meilleur discours.
Heureux momens, toujours trop courts,
Vous abréger, c’est conscience!
... Toujours trop tard je veux aller
Grossir une troupe étrangère,
Où par usage il faut parler,
Où par prudence il faut se taire...


La vie s’écoulait monotone, l’hiver à Utrecht, à Zuylen pendant la belle saison, dans le vaste château entouré de canaux et d’un parc aux arbres séculaires, qui est encore la résidence de la famille de Tuyll. Le soir, autour de la table de famille, on lit, on travaille, les plus paresseux font des châteaux de cartes... Il était vraiment besoin de la vivacité d’Isabelle pour mettre un peu d’imprévu dans cette existence patriarcale : « Ce qui me donne une