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Son Attila et les Huns ne manque certainement point d’une certaine furia dans l’aspect général. L’habileté d’exécution n’est pas contestable, mais c’est une habileté superficielle, comme celle de la plupart des Italiens et des Espagnols, habileté de mains qui, ne reposant pas sur une étude constante et sérieuse de la nature, tourne assez vite en une virtuosité irritante.

C’est à ce danger toujours menaçant pour des imaginations riches et pour des tempéramens précoces que M. Rochegrosse semble vouloir parer, pour son compte, en introduisant, à plus forte dose, l’étude de la réalité dans ses conceptions fantastiques. Sa Mort de Babylone, la plus grande toile du Salon, est aussi l’une des plus grandes qu’on ait jamais vues dans nos expositions. On a rarement accumulé, avec une prodigalité plus passionnée, dans une gigantesque vision d’orgie, au milieu d’architectures colossales, autant de tapisseries, de fleurs, d’orfèvreries, de victuailles, de nudités éblouissantes et provocantes. Toutes les œuvres antérieures de ce jeune homme audacieux, son Vitellius, son Andromaque, sa Curée, nous avaient bien appris que son intelligence cultivée se plaisait toujours aux spectacles historiques d’un caractère étrange ; aucune d’elles cependant, malgré ses qualités de mise en scène, ne nous avait fait prévoir qu’il fût capable d’apporter, dans la réalisation de ses rêves archéologiques, un labeur si soutenu, ni surtout de leur donner, par la vigueur de l’exécution, un tel éclat et une telle vraisemblance. Cette toile immense qui a les dimensions d’un décor théâtral est aussi disposée suivant les procédés du théâtre pour l’architecture et pour les personnages. Le drame touche à la fin du cinquième acte, nous sommes au dernier tableau, dont le sous-titre pourrait être le Festin de Balthazar. La scène se passe dans une immense salle, voûtée, à coupole décorée de faïences peintes. Sur les murailles se déroulent ces longs bas-reliefs polychromes qui racontent les rentrées triomphales du monarque assyrien, ses combats et ses chasses, avec d’interminables files de captifs supportant les architraves ou d’animaux chimériques se poursuivant dans les frises. Sur la gauche, au-dessus de vingt degrés de marbre, gardé par deux grands lions ailés, le trône du monarque. Au fond, une porte énorme, presque aussi haute que la salle, montrant sculptée à sa voûte une figure de Divinité foudroyante à six. ailes, et sur sa paroi latérale le taureau à tête humaine coiffé de la tiare. Le Louvre et le British Muséum ont fourni à M. Rochegrosse, pour cette restitution hasardeuse et grandiose d’un monde disparu, une quantité d’élémens disparates que son imagination d’artiste a librement amalgamés. L’air et la lumière circulent avec une abondance extraordinaire dans cet énorme décor dont la coloration, brillamment nuancée, est soutenue, avec une