Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peinture doit être légère et gaie et ne faire voler, au-dessus de la tête des danseurs et des causeurs, que des figures agiles, d’une signification simple et d’un caractère idéal, au milieu desquelles puisse aisément flotter la rêverie momentanée des spectateurs. Sa composition est donc établie suivant leur formule, qui est la formule du bon sens : en bas, la Poésie française, qui trempe sa plume dans le sang des roses pour écrire les noms de Ronsard et de Victor Hugo, tandis que ses jeunes sœurs, la Peinture, l’Architecture, la Sculpture, s’élèvent, en se tenant la main, vers la France et la Liberté siégeant, au zénith, sur des trônes de nuages. Les mouvemens des lignes et des colorations semblent de nature à produire en place un excellent effet; peut-être souhaiterait-on moins de sécheresse dans les figures des trois arts et plus de vivacité dans leurs ajustemens ; mais le groupe du premier plan, la Poésie avec le petit Génie qui tient la feuille et la Muse qui tend des couronnes de laurier, est un morceau excellent, d’un style large et libre, d’une coloration chaude et joyeuse, et fait désirer que de semblables besognes soient souvent confiées à M. Ferrier.

Une peinture, placée à poste fixe dans un édifice public, n’y joue pas forcément, dans l’architecture, un rôle purement décoratif. Son office principal peut être celui d’un enseignement moral ou historique. C’est le cas pour la plupart des peintures encastrées sur les murailles verticales des églises, des hôtels de ville, des écoles, et l’artiste manque à son devoir lorsqu’il n’y voit qu’un prétexte à des échantillonnages de tons agréables ou à des indications sommaires de personnages sans consistance et sans signification. On ne peut se rendre compte au Salon si la peinture de M. J.-P. Laurens est trop monotone ou non, trop mince ou non, pour la place qu’elle occupera définitivement. Ce qui est sûr, c’est que l’artiste s’est efforcé de donner à une scène imposante la gravité calme qu’elle comportait, en atténuant ce que sa manière énergique pouvait avoir autrefois de vigueurs trop rudes. On est au surlendemain de la prise de la Bastille. Le roi vient rendre visite à la municipalité de Paris, en son hôtel, sur la place de Grève. Il est descendu de sa voiture près de laquelle il a laissé, sur la gauche, les seigneurs de sa suite vêtus comme lui, de soies aux couleurs tendres qui le suivent d’un regard curieux ou inquiet. Quant à lui, seul, d’un pas pesant, il s’avance, levant son tricorne, vers le perron de l’Hôtel de Ville qui se développe à droite. Le maire, Bailly, debout sur le premier degré, lui remet la cocarde tricolore, tandis que tous les échevins, formant double file sur les marches ascendantes, ont tiré leurs épées et les joignent par les pointes pour former au-dessus du perron la Voûte d’acier sous laquelle va passer le souverain. Au fond de la place, quatre gardes