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femme, vue de dos, dans le Crépuscule du second, soit reflet de lampe, dans le Soir du troisième.


II.

L’intervention personnelle de l’artiste ne joue pas un moindre rôle dans l’ordonnance et dans la présentation des sujets d’observation contemporaine que dans ceux d’imagination poétique ou historique. Le public éclairé ne s’y trompe pas. Au bout de quelques jours, il ne s’arrête plus que devant les toiles où il sent l’amour de la vérité soutenu et exalté par une analyse exacte et une émotion intelligente, où il trouve condensées en un petit espace la plus grosse somme de sensations justes et d’expressions intéressantes. Deux compositions, de dimensions restreintes, mais très fournies de personnages, le Pardon de Kergoat, par M. Jules Breton, et le Baptême dans la Basse-Alsace, par M. François Flameng, méritent, sous ce rapport, tout le succès qu’elles obtiennent. M. Jules Breton, un fin lettré, comme on sait, dans son livre curieux, la Vie d’un artiste, a décrit le Pardon de Kergoat avant de le peindre ; c’est une trop rare fortune d’entendre un grand artiste expliquer si bien ce qu’il a vu et senti, que nous devons lui laisser la parole : « Les arbres épandaient sur la solennité cette demi-obscurité de haute futaie qui enveloppait les cérémonies celtiques... D’orageux nuages, qui peu à peu s’étaient amoncelés dans le ciel, assombrissaient encore l’austérité de ce jour. Les couleurs vives s’exaltaient par elles-mêmes, mais les pâleurs bleuissaient, plus mystiques, sur les visages des vierges maladives, tandis que le hâle des chouans se plombait d’un gris sinistre... Des milliers de coiffes blanches se serrent, s’agglomèrent entre les arbres, en une vaste étendue froide comme une nappe de neige... Et voici que, dans cette foule, deux mille cierges s’allument, embrasant de leurs roses reflets les blancheurs sombres... Les tambours battent. Ils sont trois : tête d’aigle, tête de Christ, tête de bandit. Plan, plan, plan! Ils s’avancent fiers et attendris. Des fillettes mitrées d’or, aux robes rouges chargées de broderie, passent, portant la châsse... » Il faut lire la description entière, si vive, si nette, si pleine de fines remarques; mais comme, en somme, si bien qu’il manie la plume, M. Breton manie de préférence le pinceau, sa toile est plus riche encore en sensations que son livre ; voici bien toutes les choses déjà racontées, et l’obscurité grave du bois où se presse la foule, et la solennité anxieuse de cette cohue fanatique, et l’individualité saisissante des types nobles, délicats ou hideux chez les pèlerins, les dévotes, les mendians, mais tout cela y prend, par la netteté de la reproduction, par l’extrême variété