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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/682

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Les villages ou kraals des Massaïs se composent de huttes de terre, de forme arrondie, attenantes les unes aux autres, enfermées dans une enceinte de broussailles et d’épines qui atteint jusqu’à trois ou quatre mètres de hauteur et dans laquelle ils percent quelques portes. Ce rempart est aussi difficile à forcer que les haies de cactus dont s’entourent les villages arabes de l’Afrique du nord. Ainsi que tous les peuples pasteurs, les Massaïs vivent sous le régime patriarcal, et ce sont leurs anciens qui les gouvernent. Mais ce qui les distingue de toute autre peuplade, c’est le célibat qu’ils imposent à leurs guerriers, nommés Elmoran, lesquels forment une classe spéciale et privilégiée, comme dans la république de Platon. Toujours sous les armes, préposés à la garde de la tribu et de ses troupeaux, ils sont entretenus à ses frais et ils sont la gloire de la cité. Ainsi que les femmes, les hommes mariés, qui ne servent qu’à propager l’espèce, sont libres de manger ce qui leur plaît. Tout aliment végétal est interdit aux Elmoran, comme indigne d’eux; ils doivent se nourrir exclusivement de fait et de viande, et avant de passer de la viande au fait, ils prennent un vomitif pour qu’il ne se fasse pas de mélange incongru dans leur noble estomac.

Les Elmoran habitent des kraals réservés à eux seuls ; ils n’y sont pas malheureux, les unions libres embellissent leur vie. Les jeunes filles de la tribu ont le droit de se choisir parmi eux un amant, et le plus recherché est celui qui a tué le plus d’ennemis ou s’est le plus signalé dans les razzias. Ces Elmoran sont de vrais chevaliers. Quand ils partent pour une expédition, leur longue lance à la main droite, portant au bras gauche leur bouclier peint de signes héraldiques, nus comme des singes ou laissant flotter sur leur épaule une fourrure très courte brodée de perles, leur principal souci est d’honorer par leurs prouesses la dame de leurs pensées, dont ils sont jaloux comme des tigres et qu’ils obligent à se vêtir jusqu’à la gorge. Comme le remarque M. Peters, tandis que, au nord-est du Victoria-Nyanza, les tribus efféminées des Bantus laissent aller leurs femmes toutes nues, les Somalis, les Gallas, les Massaïs entendent garder pour eux et protéger contre toute curiosité indiscrète les charmes qui leur ont pris le cœur. A la vérité, si l’Elmoran surveille attentivement sa maîtresse, le Massaï qui épouse n’y regarde pas de si près et laisse ses femmes légitimes sur leur bonne foi ; mari commode, il n’est jaloux que de ses vaches et de ses brebis.

Si farouches que soient les Massaïs, il y a pourtant manière de les prendre. Un Anglais, M. Thomson, avait traversé naguère leur pays sans avoir d’affaire sérieuse avec eux. Il en fut quitte pour souffrir quelques petites avanies, quelques familiarités déplaisantes; il les laissa jouer avec lui comme le chat avec la souris et ne s’offusqua de