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intéressante, sans être, à ce qu’il semble, bien décisive. D’un côté, et M. Léon Say avec ses spirituelles et fortes démonstrations, et M. Aynard avec son intelligence supérieure des affaires, et M. Charles Roux avec ses ingénieuses peintures, et M. Raynal avec sa parole hardie, ont défendu la liberté du commerce ; d’un autre côté, le chef du protectionnisme, M. Méline, M. Viger, M. Jamais, ont défendu l’œuvre de la commission des douanes. Entre les deux camps, un jeune talent, M. Paul Deschanel, a fait spirituellement le procès du libre échange, qui n’était pas en question, et il a fait aussi le procès d’une protection exagérée, pour finir par proposer comme un traité de paix. M. le ministre du commerce, M. le ministre des affaires étrangères lui-même, sont intervenus à leur tour, sans trop donner raison à la commission, sans trop lui donner tort. Pendant un mois on a tout dit et sur le progrès ou la décadence de la production nationale et sur le mouvement des exportations, et sur la valeur ou le danger des traités de commerce et sur le jeu du tarif minimum et du tarif maximum. On a mis en ligne, on a fait manœuvrer, comme dans une petite guerre, des multitudes de chiffres, ces malheureux chiffres avec lesquels on prouve tout et on finit par ne rien prouver. Au fond, de quelque façon qu’on groupe les chiffres, quels que soient les entraînemens ou les illusions d’une majorité évidemment protectionniste, tout se réduit à ceci : il s’agit de savoir si la commission des douanes, sous prétexte de remédier à une crise agricole, industrielle, qui s’explique par toute sorte de causes, ne risque pas de surcharger la vie intérieure par une élévation démesurée de droits, d’isoler la France à l’extérieur par l’interdiction systématique des traités de commerce, en commençant par toucher au droit constitutionnel du pouvoir exécutif par ce cadre inflexible du tarif minimum et du tarif maximum.

Voilà toute la question ! Que dans l’industrie, dans l’agriculture, dans le commerce, il y ait des malaises, des embarras toujours pénibles, ce n’est pas ce qui est contesté ; mais ce serait une évidente exagération de voir une stagnation définitive, presque un déclin, dans ce qui n’est qu’une crise peut-être inévitable dans l’état du monde, et il serait encore moins vrai d’attribuer ces phénomènes aux traités de 1860. Il y a quelque chose de plus éloquent que toutes les prestidigitations où se jouait autrefois la prodigieuse verve de M. Pouyer-Quertier : c’est le fait visible, universel. On dirait, à entendre les pessimistes du protectionnisme, que depuis trente ans la production nationale a été fatalement paralysée, que tout décroît et dépérit. S’il y a cependant un fait avéré, éclatant, c’est que dans ces trente années tout a marché, qu’il y a eu d’immenses développemens d’industrie, des améliorations manifestes dans les conditions du travail, des progrès sensibles de bien-être, une extension croissante des affaires.