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mendier aux portes, saint François en tête pour donner l’exemple, car c’est ici qu’il rencontrait des résistances, au dehors et au dedans. L’idée que l’honneur et la dignité d’un honnête homme sont au-dessus des circonstances et des événemens a toujours été difficile à faire accepter. Elle était le bienfait suprême dans un âge de violence où le faible était sans cesse outragé par le fort. Aussi saint François y tenait-il infiniment. « Le Fils de Dieu, disait-il à ses compagnons, était bien plus noble que nous, lui qui pour nous s’est fait pauvre dans ce monde. Nous avons choisi la pauvreté pour l’amour de lui : nous ne devons pas rougir d’aller demander l’aumône[1]. » Quelques-uns avaient cependant de la peine à se résoudre à tendre la main, d’autant que le public les blâmait, que leurs familles se plaignaient d’une ignominie qui rejaillissait sur elles et que l’évêque d’Assise, qui protégeait la Portioncule, ne cachait pas que la mendicité lui paraissait une exagération. Il l’avait même fait entendre à saint François, dont la réponse doit être citée, car elle précise la portée sociale que son œuvre avait dès lors dans son esprit : « Seigneur, si nous possédions n’importe quoi, il nous faudrait des armes pour nous protéger. Car c’est de là que naissent les procès et les différends; c’est là que l’amour de Dieu et du prochain rencontre mille obstacles ; et, par conséquent, nous ne voulons pas avoir de temporel en ce monde. » « l’argument plut beaucoup à l’évêque, » ajoute la chronique. La mendicité demeura donc la règle, mais on n’acceptait point d’argent; il n’y avait pas une seule pièce de monnaie à la Portioncule.

Le travail était une autre règle de la maison. Jamais une minute d’oisiveté. L’un cuisinait, l’autre jardinait, un troisième allait puiser de l’eau ou ramasser du bois. Ceux qui avaient des talens particuliers travaillaient « à ce qu’ils savaient » et échangeaient leurs produits contre les objets nécessaires à la communauté. Le public se rendit à l’évidence; ce n’était point par paresse qu’on mendiait à la Portioncule. Dante a exprimé le sentiment populaire dans les vers du Paradis sur saint François d’Assise : « Veuve de son premier Époux, la Pauvreté, à qui, comme à la Mort, nul n’ouvre volontiers sa porte, était restée onze cents ans, et plus, méprisée, oubliée, sans prétendant, quand celui-ci la prit pour épouse devant le Père et sa cour spirituelle, et l’aima davantage de jour en jour. »

Quelquefois, ils allaient au loin répandre la bonne parole. Ils partaient deux à deux et annonçaient la paix, et la rémission des péchés par la pénitence. On les regardait avec étonnement,

  1. Celano, Deuxième Vie.