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l’ardent prédicateur d’Assise. Il les appelait à grands cris et avec larmes, sachant bien que c’était ce qu’il fallait à ce pauvre monde aigri par la souffrance. Pourvu qu’ils comprissent tous que la folie de l’Évangile est la vraie sagesse !

Les premiers qui le comprirent tout à fait furent deux citoyens d’Assise, Bernard de Quintavalle, homme riche et considérable, et un chanoine nommé Pierre. Quand Bernard déclara son intention de distribuer ses biens aux pauvres et d’aller vivre avec saint François, celui-ci eut un scrupule. Il n’était pas grand clerc et ne savait pas exactement, après tout, ce que Jésus avait dit sur le renoncement aux richesses. Il donna rendez-vous à Bernard et à Pierre dans une église d’Assise, et tous trois se mirent en devoir de consulter l’Évangile. Ils lurent : « Si tu veux être parfait, vends ce que tu as et le donne aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; après cela, viens et suis-moi. » Rien de plus clair. Les deux disciples allèrent aussitôt vendre ce qu’ils avaient, et l’on put contempler sur la grande place d’Assise une scène apostolique. Le riche Bernard de Quintavalle tenait sa fortune dans un pan de sa robe et la semait dans les mains tendues vers lui. Debout à ses côtés, le jeune Bernadone avait l’air de trouver cela très naturel. Un vieux prêtre ayant choisi ce moment pour réclamer de l’argent qui lui était dû, disait-il, pour les réparations de Saint-Damien, François plongea sa main dans la robe de Bernard, jeta une poignée d’écus au bonhomme et allait lui en envoyer une seconde, d’un geste empreint d’un magnifique mépris pour « cette poussière, » si le prêtre, un peu honteux, ne s’était retiré en murmurant qu’il était assez payé.

Huit jours après, troisième recrue. Puis il en vint un quatrième, un cinquième, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils fussent douze.

Ni le maître ni les disciples ne songeaient à fonder un ordre. Ce serait mal connaître saint François que de lui attribuer des plans longuement préparés. En 1209, année des premières conversions, il n’avait pas d’autre projet que de vivre selon ce qu’il croyait. Ses compagnons l’entendaient de même. Aucun d’eux ne se doutait qu’il était en train d’inventer les franciscains. L’un des ordres religieux les plus puissans qui aient existé a été fondé, pour ainsi dire, sans y penser.

La petite communauté s’était établie dans une cabane qu’elle s’était construite dans la vallée, au-dessous d’Assise, près d’une chapelle abandonnée qu’on nommait Sainte-Marie de la Portioncule. Elle avait revêtu la tunique grise et la ceinture de corde adoptées par le maître, qui avait abandonné le costume d’ermite à cause des chaussures et de la ceinture de cuir, qu’il trouvait un luxe superflu. Elle priait beaucoup, travaillait de ses mains et allait