Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/782

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fond des calices odorans et dans les nids aux amours innocentes. Il leur apprenait à adorer Dieu dans son œuvre, à aimer la nature au lieu de s’en défier, et à respecter sa fécondité divine. Les frères devaient prendre garde, en coupant du bois, de ne point blesser la souche, « afin de lui laisser l’espoir de pulluler de nouveau[1]. » Un jour que saint François s’était fait donner des tourterelles qu’un garçon portait au marché, il se mit à dire tendrement: « O mes tourterelles ! simples, innocentes et chastes, pourquoi vous laissez-vous prendre? Maintenant je veux vous sauver de la mort et vous faire, des nids, afin que vous lassiez des petits et que vous multipliiez, selon les commandemens de notre créateur[2]. » Il leur fit des nids de ses mains et les tourterelles nichèrent autour du couvent. Saint François reprenait la nature au diable et la rendait à Dieu. Ce n’était pas une petite hardiesse vers l’an 1200.

C’était une hardiesse non moins grande que d’arracher notre espèce à l’isolement orgueilleux où l’avait confinée le spiritualisme chrétien. Le moyen âge voyait un abîme sans fond entre l’homme et la brute. Saint François nia l’abîme. Toutes les créatures étaient « ses frères » et « ses sœurs. » Il va sans dire que l’homme était le chef de la confraternité ; mais de quel droit mépriser les membres plus humbles, les « frères » à plumes, à quatre pattes, à écailles, à ailes de gaze? si nous ne nous comprenons plus, eux et nous, c’est notre faute. L’homme s’est fermé le monde animal par sa cruauté et son indifférence. Il ne tiendrait qu’à lui de rétablir les rapports confians institués à l’origine par le Créateur entre nous et les autres créatures. Saint François en avait été frappé certain jour que, passant près d’un champ rempli d’oiseaux, il s’était avisé d’y entrer et de prêcher ses sœurs les corneilles et ses sœurs les colombes. Les oiseaux avaient deviné un ami et, au lieu de s’envoler, comme ils font d’ordinaire à l’approche de l’homme, ils s’étaient laissé approcher « à être frôlés par sa tunique. » Ils avaient eu l’air d’écouter son discours, si bien que saint François s’était senti coupable envers les animaux, et s’était promis de leur parler dorénavant comme aux hommes. Il prêchait même les serpens, raconte un de ses disciples.

Il avait l’esprit trop sain pour se figurer qu’une hirondelle ou un agneau comprenaient ses sermons à notre manière ; mais pourquoi ne les auraient-ils pas entendus à leur manière de bêtes? pourquoi n’auraient-ils pas été sensibles à la caresse de la voix et à la douceur rassurante du geste ? Les animaux lui donnaient raison. Saint François ne leur faisait pas peur. Ils venaient se faire

  1. Celano.
  2. Fioretti, traduction d’Ozanam.