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révèle toute la sagacité de son auteur. D’où vient la menace prochaine, le danger immédiat qui peut emporter la royauté? De ce foyer d’excitations et d’insurrections qui s’appelle Paris. Tout pouvoir qui restera à la merci de la populace parisienne est un pouvoir perdu. Mais qu’on ne s’avise pas non plus de se retirer sur la frontière, à Metz, par exemple, comme le proposent des conseillers imprudens. Ce serait s’exposer à un autre péril. On blesserait le sentiment national en ayant l’air de se placer sous la protection de l’étranger. Mirabeau conseille au roi de se retirer à Rouen, d’y rassembler les gardes nationales fidèles, d’y déclarer publiquement qu’il accepte les bases de la constitution, d’y appeler l’assemblée, et, si celle-ci répond par un relus, d’y convoquer une autre législature.

Le comte de Provence lut rapidement le mémoire, présenta quelques objections de détail et y donna dans. L’ensemble son approbation. Mais rien n’était possible que si le souverain prenait lui-même, avec une volonté énergique, la responsabilité de ce plan. Il fallait vouloir et se faire obéir. Cette résolution, si nécessaire dans un pareil moment, était précisément ce qui manquait le plus à Louis XVI. Le comte de Provence, qui avait bien étudié la situation, avec le secret espoir d’en tirer parti pour lui-même, dont les visées personnelles, quoique moins apparentes, n’étaient pas moins certaines que celles du duc d’Orléans ne cacha pas à son interlocuteur le peu de confiance que lui inspirait le caractère du roi. « La faiblesse et l’indécision du roi. dit-il en propres termes, sont au-delà de tout ce qu’on peut dire. Pour vous faire une idée de son caractère, imaginez des boules d’ivoire huilées que vous vous efforceriez vainement de retenir ensemble. »

Où trouver alors un point d’appui? Mirabeau le chercha naturellement dans l’assemblée, lorsqu’il crut s’apercevoir qu’à force de persévérance et de talent, il avait triomphé des préventions qu’inspiraient sa réputation et son caractère. Longtemps il avait parlé, il avait lutté sans acquérir sur ses collègues l’ascendant que méritait sa supériorité. Il n’eut vraiment le sentiment de sa puissance que le jour où il prononça son fameux discours sur la banqueroute. L’impression qu’il produisit fut si forte et si générale qu’il put se croire le chef désormais reconnu de la majorité. Cela ne suffisait pas à son ambition. Il ne désirait être influent dans l’assemblée que pour arriver jusqu’aux conseils du roi. C’est là son idée dominante, celle dont il entretient sans cesse ses amis, et particulièrement M. de La Marck. Il sert ainsi, bien entendu, son intérêt personnel, mais il croit servir en même temps l’intérêt public. Rien de plus nécessaire, suivant lui, que de maintenir l’harmonie entre la nation et le roi. Mais on n’y arrivera qu’à la condition de lui confier le