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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/836

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dont elle est trempée, sa lumière lustre la surface de l’onde et fait de la mer mon miroir.

En sorte que lorsque je nage sur les hautes vagues, je me vois à mesure que je glisse, mais lorsque le soleil commence à brûler, vite je rentre sous mes flots,

Et je plonge jusqu’au fond ; alors sur ma tête coulent les eaux en vagues bouclées, en cercles tout ronds, et je suis ainsi couronnée de marées.


Le trait peut-être le plus caractéristique de l’esprit de la duchesse, c’est sa préférence marquée pour l’allégorie. Elle a fait de cette forme littéraire un usage vraiment prodigue. Il y en a chez elle de toutes les variétés, de métaphysiques, de morales, de religieuses, de psychologiques, voire d’astronomiques; il y en a aussi de toutes les humeurs, de gaies et de tristes, de misanthropiques et de confiantes, de sceptiques et de croyantes. On peut dire que chez elle l’allégorie revêt tour à tour toutes les robes, celle du prédicateur, celle du professeur, celle du magistrat, celle du conseiller politique. Sans doute, cet engouement a quelque bizarrerie, faut-il le prendre cependant comme la preuve d’un goût suranné ? Eh non, car s’il y a une forme qui soit naturelle à l’esprit anglais, c’est bien celle-là. Geoffroy Chaucer l’importa autrefois de France avec le Roman de la rose, et l’importation se trouva si conforme aux besoins du génie national qu’elle y fit sur-le-champ une fortune prodigieuse qui ne dura pas moins de deux siècles. De Chaucer aux approches de l’Elizabethan era y a-t-il autre chose dans la littérature anglaise que des allégories? Elles sont fort ennuyeuses d’ordinaire, ces vieilles allégories, et elles sont aujourd’hui justement oubliées, mais pendant cette longue période d’acclimatation triomphante, cette forme a lentement enfoncé son empreinte dans le génie anglais, l’a façonné à son moule, si bien qu’au terme de cette longue faveur, lorsque ce génie veut se communiquer au monde, il ne trouve pas, pour le faire, d’autre moyen d’expansion, et qu’il l’emploie comme fatalement. Et ce moyen d’expansion est tellement le sien propre qu’il se généralise aussitôt, et devient l’organe de toutes les écoles, de toutes les doctrines, de toutes les sectes. L’allégorie enseigne la politesse et le bel esprit, défend les vieilles doctrines et pousse les nouvelles. Est-il besoin de rappeler les noms de John Lilly et de Spenser, de Ben Jonson et de Milton, et à quelle fortune