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mince qu’elle étend sur son visage, et à travers lequel elle voit ses créatures en tous lieux.


La duchesse n’atteint presque jamais que le bizarre; mais il y a cette circonstance atténuante en sa faveur que ce n’est pas par amour du bizarre, comme cela s’est vu de son temps pour nombre de marinistes et de gongoristes, mais par le désir plus louable de ne ressembler à personne. Elle veut des formes et des images à l’instar de ses toilettes, c’est-à-dire qui ne soient qu’à elle. Elle a donc la bonne volonté d’être originale, et elle croit l’être en toute naïveté lorsqu’elle n’est que singulière et quintessenciée. Mais si elle se trompe, ce n’est que sur les moyens d’atteindre son idéal, non sur cet idéal même, car elle a de la nature de l’originalité, de ce qui la constitue essentiellement, un sentiment très fort, bien qu’inexact sur quelques points. Elle plaçait l’originalité dans la conception et non dans la forme, dans l’invention plutôt que dans la composition. Elle détestait les imitateurs, dédaignait les stylistes, et n’accordait qu’une estime assez froide à tout ce qui n’était que critique ou érudition. Elle a sur ces sujets des paroles excellentes et parfois d’assez grande portée. « Les imitations sont comme un vol d’oies sauvages qui se suivent à la queue l’une de l’autre, tandis que l’originalité est comme le phénix, qui n’a ni compagnon, ni compétiteur, et qui, pour être solitaire, n’en est que plus admiré. » — « Traduire est un bon ouvrage; cependant les traducteurs ressemblent aux gens qui montrent les tombes à Westminster, ou les lions à la Tour dont ils sont les informateurs et non les propriétaires. » — « Le fou érudit admire et tombe amoureux de tous les langages, sauf du sien propre ; car, s’il parlait de naissance le grec ou l’hébreu, qui sont tenus pour les plus significatifs, il préférerait le bas-allemand, qui est le moins étendu. Il est fier d’être familier avec nombre d’auteurs, quoique cette familiarité opprime sa mémoire, étouffe son jugement par la multitude des opinions, tue sa santé par l’étude, détruise son esprit naturel par les transplantations et les greffes de ses lectures. Enfin, il est tellement asservi aux règles, qu’il ne s’accorde aucune liberté raisonnable. » Une courte pièce, où elle célèbre la gloire des initiateurs et revendique pour eux la première place, est une de ses meilleures et mérite d’être citée. Elle est en tercets et semble avoir été écrite avec un souvenir de Dante ; se rappeler les discours d’Oderisi, d’Arnaud Daniel ou de tel autre artiste ou poète de la Divine Comédie.

Comme au printemps, les oiseaux arrivent, pour couver leurs petits.