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ainsi les siècles apportent leurs couvées de poètes qui chantent pour le monde la mélodie de leurs vers.

C’est la grande nature qui donne les règles de la musique, et ce n’est pas l’art qui les enseigne; car les fantaisies que la nature façonne dans le cerveau du poète sont les meilleures; celles que crée l’imitation sont néant.

Car les imitateurs ont beau chanter avec toute la perfection possible et composer leur musique avec ce qu’ils ont appris avec le plus d’amour, c’est celui qui enseigne, qui garde toujours la maîtrise, c’est celui-là qui doit avoir la couronne de louange et de renommée et qui mérite d’écrire son nom dans le long rouleau des temps ; et ceux qui le dérobent ne doivent gagner que le blâme. Dans la haute cour de la renommée, il ne doit y avoir de places que pour ceux qui, les premiers, ont enlevé la citadelle de l’invention, mais les messagers qui ne font que rapporter n’y ont pas droit.

Aux messagers est due la récompense des remercîmens pour les grandes peines qu’ils ont prises, afin d’apporter fidèlement leur message, mais non les honneurs réservés à l’invention originale.

Qu’il y en a qui se composent des costumes de pièces diverses volées ici et là, afin qu’ils puissent faire galante figure devant le monde !

Et le pauvre vulgaire, qui n’en sait jamais bien long, respecte tout ce qui porte une brillante apparence sans examiner comment cet éclat est venu à qui le montre.


Le danger ordinaire des écrits enfantés comme ceux de la duchesse par fermentation solitaire ou par l’arbitraire d’une volonté sans raisons impérieuses d’énergie, c’est de tomber dans la convention et de payer tribut à la rhétorique avec une extrême facilité. Je n’hésite pas à dire que la duchesse est entièrement exempte de ce défaut, ce qui est la meilleure preuve de la sincérité de sa nature. Elle est quintessenciée, elle n’est pas affectée ni précieuse ; elle est pompeuse, parce qu’elle croit que la pompe des mots sied aux sentimens nobles, elle n’est pas emphatique ; elle a de la grandiloquence, non de la déclamation. Ses défauts plaident en faveur de sa sincérité. Elle n’a de souplesse ni d’adresse d’aucune sorte ; son mauvais goût fréquent vient surtout de ce qu’elle est sans artifices. En outre de ce mérite de sincérité, il y a dans ses écrits quelque chose d’assez difficile à définir et que j’appellerai, faute d’un meilleur mot, une certaine touche de vie qui les sauve d’être de simples élucubrations philosophiques. Cela vient en partie de ce que, comme toutes les femmes, elle exprime des sentimens alors qu’elle croit exprimer des pensées, en partie de ce que ses jugemens