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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/841

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sur les choses du monde sortent des impressions que lui ont laissées les événemens de sa vie et non de raisonnemens. Il est évident, par exemple, que le souvenir de la guerre civile lui est toujours présent et qu’il se glisse, souvent à son insu, dans tout ce qu’elle écrit. L’idée de faction, d’intrigue malfaisante, d’ambition effrontée, hante son esprit comme une obsession. Ce silence dont l’esprit de parti enveloppe d’ordinaire la vérité, et cette duplicité générale qui en devient la conséquence dans les temps d’anarchie, l’avaient beaucoup frappée. Elle en a décrit les effets dans une de ses allégories en vers qui s’appelle les Funérailles de la vérité. La vérité est morte, mais que de choses vont être enterrées avec elle : les sentimens naturels, car sans vérité ils ne sont plus ; l’honneur, car il n’est estimé que lorsque la vérité domine ; la morale enfin, car elle n’est pour ainsi dire que le corps de la vérité. Le monde entier va maintenant aller à Fausseté. « Faction viendra, et gouvernera de haute main, et la concussion trahira l’innocent. Des controverses s’élèveront dans l’église, et l’hérésie emportera la palme. Au lieu de prêcher la paix, les prêtres prêcheront la discorde et enseigneront dans leurs doctrines la haute rébellion. Alors tous les hommes apprendront à expliquer les statuts, science qui ne servira qu’à enrichir les gens de loi… » Et voici, décrite avec tout son luxe habituel de métaphores allégoriques, l’image du monde telle que l’ont imprimée dans son esprit les spectacles de son temps. « Le monde est une grande cité où il y a un grand commerce et que traverse une grande et navigable rivière d’ambition dont le flux et le reflux sont le doute et l’espérance. Sur cette rivière flottent des barques de présomptueux amour-propre remplies d’orgueil et de mépris, et des marchands de faction y lancent des vaisseaux de trouble pour importer pouvoir et autorité. Et ces vaisseaux font souvent naufrage par suite des tempêtes de la guerre, et alors paix et bonheur sont noyés dans les vagues de la misère et du mécontentement… dureté des cœurs, effronterie des faces, tares des consciences, témérité des actions, voilà le fer et l’airain dont sont faits les instrumens à la fois de la protection et de l’offense. » Le style est baroque à l’excès, mais quiconque est tant soit peu familier avec l’histoire reconnaîtra dans les lignes soulignées une image très expressément fidèle de la na- ture humaine en temps d’anarchie. Elle a sur l’éloquence une lettre superbe qu’elle n’aurait probablement jamais écrite, si les orages parlementaires et les harangues militaires multipliées ne lui avaient donné l’expérience la plus intime des effets merveilleux du pouvoir de la parole pour le bien et pour le mal. « Réfléchissez-y bien, et vous ne pourrez assez vous étonner du pouvoir