Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/847

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avisé des XVIe et XVIIe siècles. Cette manière de raisonner est-elle si différente de celle de Montaigne, et, parmi les contemporains de la duchesse, Saint-Evremond et La Motte Le Vayer, ce dernier surtout, auraient-ils beaucoup rechigné à l’admettre, et n’y auraient-ils pas reconnu le voile le plus commode à cacher discrètement les hardiesses du doute?

La duchesse avait beaucoup trop vécu solitaire pour que ses écrits renferment de bien nombreuses peintures des mœurs de son temps, toutefois il convient de faire une exception pour le monde religieux dont elle a tracé à diverses reprises des croquis amusans, gais, avec une pointe d’amertume. Seriez-vous curieux, par exemple, de savoir ce qu’était une dame du haut monde puritain entre les années 1665 et 1670, aux alentours de l’acte du Test, vous jugerez peut-être que le portrait suivant n’est pas indigne de vous être présenté. Plus d’un trait qui, par atavisme, s’est transmis de l’aïeule aux descendantes vous assurera de la ressemblance du modèle et de la véracité du peintre.


Hier, Mme P... I... est venue me faire visite, et m’a prié de vous présenter ses humbles services, mais depuis que vous ne l’avez vue, elle a bien changé, car c’est maintenant une âme sanctifiée, une sœur spirituelle. Elle a renoncé à boucler ses cheveux, les mouches lui sont en abomination, souliers à dentelles et galoches sont autant de pas vers l’orgueil, se décolleter est pour elle pire que l’adultère; éventails, rubans, boucles d’oreilles, colliers et le reste sont les tentations de Satan et les signes de la damnation. Ce n’est pas à la seule toilette que s’est arrêté le changement; manières, conversations, sujets de discours, tout en elle est transformé, si bien qu’à moins d’être avertie d’avance vous ne la reconnaîtriez pas, si vous la rencontriez. Elle ne parle plus que de ciel et de mortifications : au bout de deux ou trois paroles, elle m’a demandé de quelle posture je jugeais qu’il était plus convenable de se servir pour la prière; je lui ai répondu que je n’en connaissais aucune de plus convenable et qui s’accordât mieux avec la dévotion que l’agenouillement, puisque cette posture disait en quelque sorte d’où nous sommes venus et où nous irons, car l’Écriture ne dit-elle pas que de la terre nous venons et qu’à la terre nous retournerons? Alors elle se mit à parler prières; elle est pour les prières spontanées, et je lui dis que plus nous y employons de mots, et moins elles avaient chance d’être acceptées, car je pensais qu’une adoration silencieuse était mieux faite pour plaire à Dieu qu’un vaniteux babillage. Ensuite elle me demanda si on ne pourrait pas se spiritualiser en modérant ses passions et ses appétits, et en en chassant les pires de son corps et de son âme, de manière à devenir une façon de divinité, ou à s’approcher