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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/848

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tellement du divin qu’on s’élèverait au-dessus de la nature humaine. Je lui répondis non, car à supposer que les hommes pussent changer le cuivre, le fer ou les autres vils métaux en or, et raffiner ensuite cet or jusqu’à son plus extrême degré de pureté, ce ne serait encore qu’un métal; de même l’homme le plus purifié ne serait encore qu’un homme. Prenez d’ailleurs les plus parfaits des hommes, ceux qui par la grâce, la prière, le jeûne, se sont élevés jusqu’au degré de saints, ils n’ont été encore que des hommes tant que fut conservée l’union de leur âme et de leur corps; mais lorsque la séparation se fait, ce que devient l’âme, et si elle est un Dieu, un diable, un esprit, ou rien du tout, je n’en ai aucune connaissance. Là-dessus elle leva les yeux au ciel et me quitta, convaincue que j’étais du nombre des mauvais et des réprouvés, incapable de grâce efficace, en sorte que je crois qu’elle ne m’approchera plus, de crainte de souiller sa pureté en ma compagnie. La première fois que nous entendrons parler d’elle, vous verrez qu’elle sera devenue sœur prêcheuse.


La dame devint, en effet, sœur prêcheuse, mais paraît n’avoir obtenu dans ce rôle qu’un médiocre succès. Une seconde lettre de la duchesse nous fait assister au spectacle amusant d’un conventicule, et, malgré la longueur relative de cette scène, nous voulons la rapporter, parce qu’elle nous permet de surprendre sur le fait les deux opinions qui rendirent si longtemps les puritains antipathiques au gros de la nation et haïssables au parti des Cavaliers. La première, c’est qu’ils ne craignaient pas de se séparer ouvertement de la masse de leurs concitoyens, considérant qu’ils étaient, au milieu d’eux, comme un nouveau peuple d’Israël au milieu des idolâtres, et s’attribuant par suite sur eux tous les droits qu’une telle sélection divine pouvait justifier. La seconde, c’est que le salut de l’âme individuelle devait passer avant tout autre souci, qu’il n’y avait pas de devoir politique ou social qui ne dût céder à celui-là, fallût-il pour cela entrer en lutte contre l’État ou faire abandon des intérêts nationaux. C’est cette séparation entre le chrétien et le citoyen que combattit toujours l’église anglicane, dont l’effort principal, soutenu, traditionnel, consista, dès l’origine, à maintenir l’alliance entre ces deux hommes et à démontrer que les devoirs du sujet étaient identiques aux devoirs du chrétien. Si vous cherchez la différence entre l’église anglicane et les autres églises protestantes, vous n’en trouverez pas de plus essentielle que celle-là. Elle est tellement caractéristique, cette différence, qu’elle s’est fait sentir encore de nos jours, et qu’un des plus nobles et des plus libéraux défenseurs que l’église anglicane ait eus dans notre siècle, Charles Kingsley, n’a pas hésité à en faire l’objet de