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le fonctionnement du libre arbitre nouveau, simple instrument de laboratoire, pour ainsi dire. Si donc on veut faire, bon gré mal gré, reposer sur lui la responsabilité morale, on doit, quelque partisan qu’on soit de cette idée scolastique, acquitter la plupart des malfaiteurs, — à moins qu’on ne leur applique les idées de MM. Lombroso, Ferri et autres, qu’on est mal venu dès lors à critiquer.


II.

Voilà pourquoi je me suis permis de chercher si la responsabilité morale, définie comme il a été dit plus haut, n’avait pas quelque autre appui possible que son fondement traditionnel ou conventionnel, assez peu antique à vrai dire. Et je suis heureux d’avoir été approuvé dans cette recherche par M. Brunetière, notamment, dont les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié l’avis autorisé à cet égard[1]. La condition essentielle et suffisante, selon nous, de la culpabilité, c’est que l’acte reproché émane de la personne même, volontaire et consciente, non malade, non aliénée, cause causée, soit, mais cause pourtant, saillante et irréductible, et que cette personne soit restée, jusqu’à un certain point, la même depuis le délit. Il faut, en outre, que l’auteur de l’acte soit et se reconnaisse plus ou moins le compatriote social de sa victime et de ceux qui l’accusent. Ainsi, il y a en réalité deux conditions : à savoir, un certain degré d’identité personnelle persistante chez le malfaiteur dans l’intervalle de l’acte à l’accusation, et un certain degré de similitude sociale sentie ou reconnue entre sa victime et lui, entre lui et ses accusateurs. — Faisons remarquer que ces conditions de la culpabilité de l’agent ne doivent pas être confondues avec celles de la criminalité de l’acte. Bien entendu, il est nécessaire, avant tout, que celles-ci se rencontrent dans le fait incriminé, c’est-à-dire qu’il soit qualifié et réputé délictueux. Quant à l’explication de ce dernier caractère, nous n’avons pas à la donner ici. Mais on se tromperait en pensant qu’elle est exclusivement ou même toujours principalement utilitaire. On en aura la preuve en parcourant la liste des actions regardées et punies comme les plus criminelles dans la suite des temps et la diversité des nations. Ce ne sont presque jamais les plus nuisibles à l’intérêt général, mais bien les plus

  1. Revue des Deux Mondes du 1er juillet 1890, article intitulé : une Nouvelle théorie de la responsabilité à propos de notre Philosophie pénale.