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n’en ont d’autre, est, comme la vengeance, une souffrance infligée, mais une souffrance voulue moins par un calcul d’utilité sociale, que par le besoin d’exprimer la honte d’avoir un frère qui nous déshonore. Si nous nous refusons à concevoir une pénalité autrement que comme douloureuse, tandis que nous admettons très bien la possibilité d’une médication agréable, c’est que le repentir ne saurait être que douloureux. Il me semble que les phases successives de la pénalité s’accordent avec ce point de vue. L’adoucissement et surtout la transformation séculaire des peines qui, toutes physiques et positives au début, se sont spiritualisées à la longue et sont devenues simplement privatives, ne correspondent-ils pas aux changemens opérés dans l’expression du repentir aux divers âges des peuples, depuis le repentir des sauvages et des barbares exprimé par des coups, des mutilations, des blessures volontaires[1], jusqu’au repentir civilisé qui a pour signe unique la tristesse d’une attitude humiliée? Le sauvage contrit se déchire le corps, verse son propre sang; le civilisé repentant peut bien se tuer, car il y a des suicides par remords, mais sans se faire mal ou en se faisant le moins de mal possible. Il n’y a pas de milieu pour ce dernier entre le repentir qui est une souffrance morale, non physique, et le repentir qui le condamne à mourir. De même dans nos pénalités modernes, il n’y a presque plus de châtimens corporels, de flagellations, de bastonnades, de tortures; il n’y a pas de milieu entre la prison assez confortable, seulement déshonorante, et la peine de mort réduite au minimum de douleur.


Telle est, brièvement résumée et incomplètement, une notion de la culpabilité qui, tout étrangère qu’elle est à l’idée du libre arbitre, me paraît donner pleine satisfaction à la conscience, s’accorder avec l’état des sciences et trouver sa confirmation historique dans l’évolution des sentimens moraux aussi bien que des institutions pénales. Pratiquement, elle a, ce me semble, l’immense avantage de rompre un lien factice, mais des plus périlleux, entre une hypothèse métaphysique plus ou moins plausible, mais de plus en plus combattue, et une idée morale nécessaire qui, malheureusement, devient inefficace dès le moment où elle cesse d’être certaine et incontestable. Les deux fondemens que nous avons cru pouvoir lui donner sont à l’abri de toute sérieuse attaque. L’identité personnelle est un fait, la similitude sociale aussi. Avec ce fil conducteur, il est aisé de se retrouver dans le dédale des difficultés offertes par les perturbations mentales de la folie, de l’hypnotisme,

  1. Les anciens Aztèques se saignaient cruellement eux-mêmes pour les moindres peccadilles.