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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/930

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encore le jet de la chevelure libre et agitée par l’air, dont une grande mèche vient battre la joue de la chasseresse. Le torse, les bras, les cuisses, sont modelés avec une verve et une sûreté incomparables ; il est impossible de rendre avec plus de vérité et plus de goût à la fois la beauté des formes en mouvement et la souplesse de la chair vivante. Pourquoi M. Falguière n’a-t-il pas conservé partout, à son travail du marbre, la même fermeté franche et vive? Pourquoi ces mollesses, ces effacemens, ces estompages, par exemple, sur le visage même et dans les extrémités, notamment sur les pieds longs et plats, qui ne semblent plus assez nerveux, qui ne sont plus les pieds de ce corps agile? Pourquoi, d’autre part, ces cheveux en plaques, qui se rabattent comme des ailes ou des lambeaux d’étoffes chargent la figure au lieu de l’alléger? Nous ne signalerions pas, dans un chef-d’œuvre, ces vétilles faciles à corriger, ces apparitions inopportunes des procédés pittoresques à la mode, si les ouvrages de M. Falguière n’étaient pas, à juste titre, considérés comme des exemples et des modèles par toute notre école. Trop de jeunes gens ont aujourd’hui tendance à abuser des procédés sommaires pour donner à leurs figures des apparences de formes et des apparences d’expression ; il ne faudrait pas que l’exemple (même dans les détails) leur parût venir de si haut, alors surtout que le talent de M. Falguière poursuit sa marche ascendante, et que sa manière, déjà si puissante et vivante, s’élargit et s’ennoblit de jour en jour.

Autour de MM. Falguière et Delaplanche, un assez grand nombre d’artistes, appartenant aux générations suivantes, cherchent encore à exprimer, dans des figures isolées, leur manière de comprendre la beauté féminine. M. Carlès, dans son Eternel poème, nous montre une grande femme, debout, adossée à un tronc d’arbre qui se divise en fourche à la hauteur de ses épaules. Elle penche en arrière sa tête dans cette fourche, et ce mouvement qui nous dérobe en grande partie la physionomie de la séductrice n’est pas, à vrai dire, ce qu’il y a de plus heureux dans sa pose. Le reste du corps, ample et souple, se développe de face assez franchement, dans un rythme de lignes facile et large, mais qui n’a rien d’inattendu. C’est une beauté d’ailleurs fière et noble. M. Ferrary, dans sa Phryné se découvrant devant l’Aréopage, a cherché un type plus sec et plus nerveux. Ce n’est pas la première fois que nous remarquons en M. Ferrary ce goût pour les formes longues et serrées, avec des mouvemens vifs et saccadés, qui donne à ses figures, comme à celles de certains maîtres florentins, un aspect compliqué et anguleux, même lorsque le geste en est juste et bien pondéré. Dans la Phryné, qui, une jambe tendue en avant, s’efface brusquement le corps de trois quarts, au moment qu’elle