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qui l’appellent et vers lesquelles elle ne s’est pas encore retournée; puis, un peu en arrière, sur un assemblage de nuées, au-dessus de sa tête, les trois apparitions, non pas à l’état de vapeurs confuses, mais en chair et en os, saint Michel au milieu, brandissant l’oriflamme, sainte Catherine, à gauche, apportant l’épée, sainte Marguerite, à droite, présentant le heaume. Ces trois figures, noblement et largement sculptées, sont étudiées avec une conscience parfaite. L’artiste, en s’inspirant des maîtres du moyen âge pour leur donner un caractère conforme aux données légendaires, a su pourtant éviter les mesquineries d’un archaïsme prétentieux. Des trois saints personnages, le saint Michel est peut-être celui dont le type est le moins satisfaisant. Un peu plus d’énergie dans son mouvement et de vivacité dans sa physionomie ne messiéraient pas, en une heure si grave, à ce chevalier du ciel, à ce dernier défenseur de la France éplorée. A vrai dire, nous le trouvons un peu joli. Les deux saintes ont le droit d’être plus calmes, et c’est avec une dignité de grandes dames qu’elles offrent des armes à l’humble fille des champs; n’est-ce pas, en effet, sous ces belles apparences qu’elles durent se présenter à son imagination, et comme descendues des verrières brillantes de l’église, où la paysanne avait pu les entrevoir? Quant à Jeanne, elle devait forcément rappeler par son attitude la Jeanne de Chapu, comme celle-ci avait rappelé la Jeanne de Benouville, puisque toutes les trois sont prises dans le même moment; cependant, M. Allar n’a pas plus copie Chapu que Chapu n’avait copié Benouville. Sa Jeanne, forte et belle fille, à la physionomie intelligente et décidée, noblement simple dans son vêtement et sous son bonnet de paysanne, se soulève pour mieux entendre les voix, par un mouvement naturel et nouveau. Tant il est vrai qu’il n’y a rien d’usé pour un véritable artiste. Ce groupe de Domrémy est l’œuvre la plus importante qu’ait entreprise l’auteur d’Alceste, depuis plusieurs années ; nous sommes heureux d’y retrouver cette noblesse de conception et cette franchise d’exécution qui avaient dès lors classé M. Allar à un rang supérieur parmi les hommes de sa génération.

L’Alsace et la Lorraine se réfugiant au pied de l’autel de la patrie, par M. Bartholdi, forment la partie la plus importante du monument de Gambetta qui doit être élevé à Ville-d’Avray. La disposition en est décorative et architecturale ; on dirait une sorte de fronton dont l’autel de la patrie occuperait le centre, tandis que les deux figures assises, l’une à droite, l’autre à gauche, adossées à l’autel, chacune tenant un enfant, en suivraient les plans inclinés. Les deux figures, nettement caractérisées, sans violence, sans emphase, très calmes et dignes dans leurs attitudes pensives et tristes.