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patrons et des ouvriers, les revendications du prolétariat, la condition des femmes et des enfans dans l’industrie, les obligations des gouvernemens, la fixation des salaires, la limitation des heures de travail, l’institution des syndicats, l’organisation de l’arbitrage, les grèves et leurs dangers. Il aborde tour à tour cette multitude de questions qui forment l’éternel et redoutable problème du travail, avec son cortège de crises, de rigueurs inévitables et de misères. Il met tout dans son œuvre, le généreux pontife, et cette étude sur le vif de la société contemporaine, il la poursuit avec une équité supérieure d’intelligence, avec la bonne volonté de faire la part de tous les droits, de concilier tous les intérêts, d’apaiser les antagonismes douloureux. Léon XIII trace à l’autorité publique son rôle, un rôle de protection prévoyante, sans rien exagérer pourtant, sans aller jusqu’à la périlleuse chimère du socialisme d’État, en réservant les droits de la liberté individuelle. Il avertit tout le monde, les gouvernemens, les patrons, les ouvriers, en leur montrant que, par des luttes implacables, ils ne peuvent créer que des dangers pour eux-mêmes, pour la paix publique, pour l’industrie qui est la vie des nations modernes. Au fond, le grand et méditatif solitaire du Vatican a des sympathies visibles pour ceux qui travaillent, pour ceux qui souffrent, et s’il cherche à garantir les ouvriers des influences révolutionnaires qui les perdent, ce n’est pas sans quelque sévérité qu’il parle des patrons, « des hommes peu nombreux, opulens, qui imposent un joug presque servile à la multitude infinie des prolétaires. » Bref, il y a un conseil, un mot pour tout le monde.

C’est fort bien, dira-t-on, c’est un beau morceau d’éloquence ; seulement, tout cela est assez vague et n’a rien de nouveau. Le digne conseiller du Vatican ne fait que répéter avec plus d’éclat ce que tant d’autres ont dit avant lui et n’a aucune solution pratique à nous proposer. Ce n’est pas encore cette encyclique du 15 mai qui résoudra ce qu’on appelle la question socale, qui dénouera ou apaisera par sa parole cette crise du travail où les nations de l’Europe sont engagées. — Eh ! sans doute, c’est bien possible. Le pape n’a rien inventé. Il n’a pas entendu vraisemblablement non plus tracer un programme législatif aux parlemens et aux gouvernemens. Il cède peut-être un peu aussi à l’entraînement universel, il suit le courant en s’occupant à son tour du problème ouvrier. C’est possible ; mais ceux qui en parlent d’un ton si dégagé mettentils tant de nouveauté, tant de fertilité dans leurs polémiques et dans leurs discours ? Ont-ils eux-mêmes des solutions pratiques pour toutes ces questions qu’ils soulèvent si souvent à la légère pour se créer une popularité équivoque, pour capter des masses laborieuses toujours accessibles aux illusions ? Pas plus que le pape, législateurs et polémistes n’inventent rien ; ils n’ont le plus souvent pour toutes solutions que des expédiens plus dangereux qu’efficaces. Le saint-père,