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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/956

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lui, reste dans son rôle en se bornant à témoigner son intérêt, à donner une direction. Ce qu’il faut voir, en effet, dans la dernière encyclique, c’est bien moins un programme, un ensemble de propositions précises qu’une grande manifestation morale, une intervention pacificatrice ou modératrice dans la mêlée des passions et des intérêts.

Parce que Rome a parlé, la cause n’est pas finie, sans doute, dans ces affaires terrestres, et il se peut que l’encyclique n’ait pas une action directe, immédiate, dans les conflits du monde moderne. La parole pontificale n’a pas moins la valeur et l’autorité d’une généreuse consultation tombant de haut pour adoucir, s’il se peut, les âpretés, les irritations de la lutte, — rappelant à tous qu’il y a autre chose qu’une affaire matérielle dans ces cruels problèmes, qu’il y a aussi une part de mal moral qu’on ne guérit pas avec des remèdes empiriques, même avec des lois de circonstance. Elle est surtout le signe de la souplesse habile et prévoyante avec laquelle l’Église, représentée par son chef, se plie à la nécessité des temps, aux évolutions qui s’accomplissent dans les idées, dans la vie publique des peuples. Qui aurait dit, au temps de Pie IX, le naïf irréconciliable, que la papauté, cessant de fulminer contre le siècle, entrerait bientôt dans le mouvement universel ? Léon XIII parle aujourd’hui avec une intelligence sympathique, libérale, de tout ce qui préoccupe le monde ; il parle en pontife éclairé, négociant avec la puissance des choses, — et puisque récemment encore, au-delà des Alpes, on parlait des conspirations qui s’organiseraient au Vatican, qui pourraient troubler l’Italie, c’est ici une conspiration bien autrement menaçante que toutes celles que peuvent imaginer les liommes d’État en disponibilité, les politiques de fantaisie.

Au fond, l’Italie vraie, réelle, sait bien, ou doit savoir si elle écoute sa raison, qu’elle n’est sérieusement menacée ni au Vatican, ni ailleurs, qu’elle n’a que les ennemis qu’elle voudra se faire. Si elle a des embarras, des difTicultés financières, politiques, industrielles, sociales, si elle a des questions épineuses de conduite diplomatique à régler, si avec tout cela elle est exposée à des dangers, à des mécomptes, ce sont ses chefs qui lui créent mécomptes et dangers. Il est certain que pour le moment tout semble assez compliqué et embrouillé au-delà des Alpes, que si le ministère né il y a quelques mois a paru porter au pouvoir un esprit nouveau et détendre à demi la situation, les obscurités, les contradictions, les incertitudes subsistent. Il y a dans ces affaires italiennes du jour ce qu’on pourrait appeler un épisode de fantaisie, un intermède qui serait passé inaperçu si ce n’était le nom de l’homme qui s’y trouve mêlé, et il y a ce qu’on pourrait aussi appeler les choses sérieuses, la suite d’une politique à décider et à régler. L’intermède serait, si l’on veut, cette élucubration que M. Crispi vient de livrer à la curiosité publique un peu endormie à son égard.

Depuis que l’ancien président du conseil du roi Humbert avait dis-