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depuis cinq mois, a vu embarquer pour l’ancien monde du métal précieux au montant de plusieurs millions de dollars.

Pour les chemins de fer et les télégraphes, la platform demande le contrôle du gouvernement national, et, si ce contrôle ne suffit pas pour la suppression des abus existans, l’expropriation complète de toutes les entreprises de transports et l’exploitation par l’État de tous les moyens de communication.

Le programme réclame enfin la suppression des lourdes taxes douanières qui pèsent en ce moment sur les objets nécessaires à la vie des classes laborieuses, et l’établissement d’un système de taxation progressive sur les revenus. Il déclare que le montant total des revenus du gouvernement national et de l’administration locale ne doit jamais dépasser celui des dépenses que peut exiger un gouvernement honnête et économe, prescription qui est la maxime de Cleveland, renouvelée de celle de Jefferson (necessary expenses of the Government, economically and honestly administered),

Ce programme constitue une attaque en règle, un assaut en masse contre tous les pouvoirs existans : banques, chemins de fer, télégraphes, compagnies foncières étrangères, syndicats industriels, monopolistes de tout rang, rois des chemins de fer, rois du pétrole, rois des mines, manufacturiers, capitalistes, à peu près tout ce qui existe, enfin, en dehors du fermier et du travailleur, de l’ouvrier rural et de l’ouvrier urbain.

À la tête de la nouvelle société, complètement débarrassée de tous ces élémens parasites, un gouvernement paternel aura pour fonction principale de créer beaucoup d’argent avec du papier, de faire de la richesse avec rien et de prêter au peuple à 2 pour 100 d’intérêt. Le peuple aura toujours le droit d’emprunter à ce taux ; la platform a d’ailleurs omis de déclarer qu’il aurait en retour le devoir de rembourser, et elle n’indique pas par quel moyen le gouvernement pourrait lui rappeler ce devoir, s’il venait à l’oublier.

Il n’est pas malaisé de reconstituer la genèse de cette extraordinaire fantaisie économique. Le congrès a voté gravement, l’année dernière, une loi qui autorise les propriétaires de mines d’argent à porter leurs lingots, au fur et à mesure de la production, au plus prochain établissement de monnaie des États-Unis. Là, contre remise de ces lingots, on leur délivre des billets du trésor qui représentent de belles espèces sonnantes en or. L’argent métal est une marchandise comme une autre. L’État pourrait aussi bien délivrer des billets du trésor contre remise d’autres produits, tels que le fer, le coton, le bétail. Le fermier, qui vend difficilement son blé et ses pommes de terre, ne voit pas pourquoi le gouvernement ne les lui prendrait pas en dépôt, comme le reste, contre émission de