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notre âme, nos instincts, nos penchans, nos habitudes, la destinée de notre cœur, la société même où nous vivons, ses croyances et ses dieux, ses mœurs et ses usages, qui deviennent pour l’homme une seconde nature. En un mot, la nature est avec le monde extérieur l’ensemble des élémens dont se compose notre vie et sur lesquels nous avons pu faire d’heureuses ou fâcheuses expériences. « L’homme est né singe et copiste, » disait le comte de Caylus. Que l’original nous plaise ou nous déplaise, nous en voyons volontiers la copie ; souvent les réalités nous incommodent ou nous oppriment, une image est toujours inoffensive. Mais on fait ici une distinction : à l’architecture, à la musique, arts symboliques, qui, dit-on, n’imitent rien, on oppose la sculpture et la peinture en les qualifiant d’arts imitatifs. Regardons-y de plus près et nous reconnaîtrons qu’il y a une part d’imitation dans l’architecture et dans la musique, et que tout n’est pas imitation dans la peinture comme dans la statuaire, qu’ainsi tous les arts ont bien un air de famille, que ce sont vraiment les espèces d’un même genre.

L’objet propre de l’architecture est d’exprimer par des apparences la destination d’un édifice. Une église qui ressemble à une caserne, une halle qui ressemble à une église, une maison de plaisance qui a l’air d’un couvent, une maison bourgeoise bâtie sur le modèle d’un château-fort, sont des contresens qui déshonorent un architecte. Il faut que la vue seule d’un édifice m’apprenne à quoi il sert et s’il est habité par des dieux ou par des hommes, si ces dieux sont aimables ou terribles, si ces hommes se reposent ou travaillent, s’amusent ou passent leur vie à se garder et à se défendre, s’ils sont des bourgeois ou des moines, des rois ou des paysans, et une chaumière qui dit bien ce qu’elle doit dire est plus une œuvre d’art que tel palais qui ne le dit pas ou le dit mal. Ainsi un architecte qui est un artiste exprime par des formes ce qui se passe dans une demeure, ce qu’on y fait, le genre de vie qu’on y mène, ou, pour parler plus exactement, l’idée que je dois m’en faire, l’impression que j’en dois recevoir.

Comment s’y prendra-t-il ? Par quels procédés, par quel artifice fera-t-il parler la pierre ? La méthode des arts symboliques est l’imitation indirecte ; ils remplacent les ressemblances par les analogies. Une analogie est une similitude imparfaite entre des choses d’ordre différent. Certaines impressions morales et celles que nous procurent certains effets naturels ont ensemble une si étroite liaison que nous ne pouvons éprouver les unes sans ressentir les autres. Des lignes droites ou courbes, des lignes continues ou brisées, des angles rentrans ou saillans produisent en nous des affections de l’âme. Variez leurs combinaisons, qu’elles se