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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/182

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en France, avec toutes les précautions requises ? La question a dû se poser d’autant plus naturellement que l’emploi des fonds de ces caisses est devenu le plus embarrassant des problèmes, depuis que le chiffre exorbitant de trois milliards et demi a été atteint. Ce résultat, comme on le sait, comporte malheureusement de tout autres explications que le progrès, réel d’ailleurs, de l’épargne populaire. Le chiffre surélevé de l’intérêt y a attiré les capitaux de toutes les classes. On se trouve donc en face d’un capital stérilisé, et, d’autre part, de la perspective vraiment effroyable pour l’État, d’être exposé au danger d’une demande écrasante de remboursemens. Les économistes les plus clairvoyans, les financiers les plus expérimentés ont signalé ce péril, qui va croissant puisque, selon la juste remarque de M. Paul Leroy-Beaulieu, dans une discussion récente à l’Académie des sciences morales et politiques, il n’y a aucune raison, s’il n’y est pas porté remède, pour que cette somme n’aille s’accumulant indéfiniment jusqu’à des chiffres qui sembleraient fabuleux. De son côté, M. Buffet déclarait, à la même occasion, que, pour sortir de cette redoutable impasse, il n’y aurait pas lieu de reculer même devant un emprunt. Assurément, ce n’est pas l’autorisation de faire quelques prêts agricoles qui modifierait sensiblement cette situation ; mais il pourrait y avoir là un emploi utile d’une partie de ces fonds. Une telle mesure pourrait être autorisée dans des cas restreints et entourée de toutes les garanties de sécurité que peut conseiller la sagesse la plus timorée. C’est la thèse qu’a soutenue M. Léon Say, et, à la vérité, on ne voit pas clairement ce qu’il y aurait de si hasardeux à autoriser quelques caisses à faire de ces prêts limités, pris sur une partie des fonds de ce qui constitue leur avoir, leur fortune particulière, distincte, on le sait, des épargnes déposées. On peut se demander de même pourquoi des caisses libres ne feraient pas les mêmes opérations qui se font, par exemple, en Belgique. N’est-ce pas une idée toute conforme aux services et à l’histoire même des banques, de vouloir faire aboutir les dépôts aux prêts, de manière à rendre, pour ainsi dire, par petits ruisseaux au travail honnête et intelligent, qui se charge de les féconder, les sommes que l’épargne a accumulées dans un commun réservoir ?

Cette façon de procéder a donné les plus heureux résultats dans les pays où elle a été mise en œuvre, et il n’est pas facile d’apercevoir pourquoi, appliquée avec mesure, elle n’aurait pas chez nous quelques-uns des mêmes avantages. Bien loin de créer des dangers pour les placemens, ces caisses, et en général les banques locales agricoles, leur en ont ouvert qu’on peut regarder comme les plus sûrs qui existent. Au lieu de se jeter dans des prêts