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aléatoires à l’étranger, ou dans des entreprises qui spéculent sur la crédulité de dupes prêtes à donner dans le piège, les petits capitaux trouveraient là des placemens à leur portée, d’une entière sécurité, et la petite propriété rurale pourrait s’y procurer le crédit à des conditions modérées. C’est, en effet, dans cette petite et moyenne clientèle qu’est, selon nous, et nous l’avons assez fait entendre dans toute cette étude, l’avenir de ces institutions dans un pays comme le nôtre, où les capitaux et les terres sont également divisés. Qui ne serait frappé de ce que peut être cette petite clientèle en voyant les banques populaires de l’Allemagne et de l’Italie, et, dans ce dernier pays, notamment les banques fondées par Leone Wallemborg ? Un calcul fait sur 2,235 sociétaires donne une grande majorité pour les cultivateurs ayant moins de 2 hectares, ou de 2 à 5 hectares et de 5 à 20, à 30 au plus ; mais ces derniers forment l’exception. Ces caisses ne dépassent pas le cercle le plus restreint, la commune, quelquefois le hameau ; leurs sociétaires sont des paysans n’ayant d’autres ressources que leur travail et qui sont loin d’être plus avancés que les nôtres. Ils se groupent, et ce groupe solidaire offre des garanties suffisantes, puisqu’il trouve à se procurer les moyens de crédit.— Si l’on objectait que ces caisses, et en général les banques populaires en Italie et en Allemagne, ne se sont fondées que par le concours de quelques propriétaires apportant, au début, l’aide de leur zèle et de leur argent, nous demanderions si l’on croit que les nôtres en feront moins et qu’il ne s’en trouvera pas sur plusieurs points de la France pour rendre les mêmes services à l’origine de ces établissemens. N’est-ce pas grâce au concours de ces bourgeois, de ces riches, qu’on accuse si facilement de ne rien faire pour les autres classes, que les caisses d’épargne elles-mêmes ont été fondées à l’époque de la restauration, et n’est-ce pas aussi le cas des sociétés de secours mutuels et de la plupart des institutions de prévoyance ? Aujourd’hui encore, nous en voyons se produire de nouveaux exemples pour la construction des habitations ouvrières. Cette aide accordée aux entreprises d’utilité populaire par les plus aisés aux plus pauvres, à laquelle on a donné le beau nom de devoir social, est dans l’esprit comme dans les nécessités de notre époque. Elle est, en même temps qu’une œuvre d’humanité, un sage calcul politique, et elle peut être aussi un bon calcul économique pour ceux qui, sans chercher la fortune dans des œuvres où la philanthropie a sa part, se contentent, quand ils ne peuvent aller jusqu’au sacrifice complet, d’un intérêt modique de leurs capitaux.

Nous ne pouvons nous résigner à croire que la France continuera à faire une aussi triste figure, en matière de crédit agricole,