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devant des nations qui ont réalisé à cet égard ce qu’on peut nommer sans exagération de véritables merveilles. On a publié le bilan de ces banques, et, dans un récent volume qui contient les statuts de toutes les banques populaires et fournit à leur sujet d’utiles indications théoriques et pratiques, M. Alphonse Courtois résumait cette étonnante statistique par des chiffres qu’on serait tenté de taxer d’invraisemblance si leur réalité n’était dûment attestée. C’est ainsi qu’il existe en Belgique 20 banques populaires ayant en dépôt 7 à 8 millions de francs ; en Italie, 641 banques, avec 500 millions de dépôts ; en Hongrie, 530, avec 50 millions de francs de dépôts ; en Autriche, près de 1,400, avec 600 millions de dépôts ; en Russie, 859, avec un chiffre de dépôts que nous ignorons ; en Allemagne, plus de 3,000, à savoir : 2,160 du système Schultze-Delitzsch, avec près de 1,200 millions de francs, et 1,000 à 1,200 du système Raiffeisen, dont le chiffre des dépôts nous est inconnu. En France, on aurait peine à arriver au chiffre de 10 ! C’est en nous adressant à des types de crédit variés, par essais successifs ou simultanés, que, sans réaliser d’ici à longtemps, sans doute, des résultats aussi prodigieux, nous aurons chance de nous tirer de la nullité où nous sommes relativement au crédit agricole. La législation peut nous y aider moins par des secours directs qu’en cessant d’y faire obstacle. C’est alors seulement que nous serons en situation de juger ce que vaut l’imputation qu’on nous adresse de manquer de toutes les qualités qui font qu’on peut faire un heureux usage du crédit dans nos campagnes. S’il est vrai, comme nous nous sommes efforcé de l’établir, que les obstacles viennent moins des difficultés intrinsèques que de la suspicion où on tient la possibilité du succès, nous pensons qu’il serait bon de nous prémunir contre des dispositions trop décourageantes. On nous a accusés plus d’une fois de manquer de modestie, n’allons pas maintenant par un excès contraire, par une déclaration tout au moins prématurée d’impuissance, tomber dans cette extrême défiance de soi-même qui empêche d’agir. Qu’on se décide seulement à faire un pas, l’humilité des débuts n’aura rien qui nous inquiète. Gardons-nous surtout de nous laisser aller à cette singulière lassitude, qui n’attend pas d’avoir agi, et de désespérer de la moisson avant d’avoir semé. Tout a été dit sur la question, il est temps de se mettre à l’œuvre.


HENRI BAUDRILLART.