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les placent, par une accentuation vive du mouvement et une indication rapide de la physionomie dans une action déterminée. Les coryphées de cette école séduisante et périlleuse sont MM. Besnard, Zorn, Boldini. M. Besnard a sur M. Zorn cette supériorité décisive qu’il a fait de bonnes études classiques, que, lorsqu’il le veut, il donne à ses figures des dessous réels et palpables et que, lorsque sa fantaisie ne se laisse pas aller à des recherches d’effets trop subtils qui déroutent des yeux mal aiguisés, il manie la lumière avec une finesse d’observation singulière. C’est de plus un esprit inventif, et on peut le constater dans la disposition même de ses portraits. Cette année, il réunit deux figures sur chaque toile : ici, Mme Ch… jouant du piano, vue de profil, et son mari, vu de face, lui indiquant un passage ; là, deux sœurs, Mlles D.., toutes deux en robe verte, cueillant des fleurs dans une serre au milieu des plantes vertes. Il va sans dire que M. Besnard se plaît à jouer avec tous ces verts dont quelques reflets éclaboussent les carnations fraîches de ces très jeunes filles ; les mouvemens, d’ailleurs, sont gracieux, les expressions candides et douces, et le tout est mené avec une souplesse gracieuse, très distinguée, qui rappelle le XVIIIe siècle. Chez M. Zorn, le laisser-aller de la brosse est plus grand encore que chez M. Besnard ; toutes ses figures restent à l’état d’indication, mais il possède un sentiment singulièrement vif et juste de la forme en mouvement et de l’expression individuelle. S’il s’était décidé, comme tous auraient dû faire, à opérer lui-même un triage dans ses improvisations et à n’exposer que trois portraits : celui de M. M.., un homme brun, à l’œil noir et perçant, à demi enveloppé par la fumée de sa cigarette ; celui de M. F.., coiffé d’une calotte noire, jouant du piano, et même le Portrait de M. Spuller, assis, la main appuyée sur le bras de son fauteuil, se penchant en parlant, prêt à se lever, il eût obtenu un succès incontesté ; mais toutes les peintures pâteuses, disloquées, chiffonnées dont il entoure ses trois œuvres intéressantes servent à nous y faire remarquer ce qu’elles ont d’incomplet et de hasardeux. Bien que M. Blanche soit beaucoup moins sensible au mouvement des figures et à leur éclairage que MM. Besnard et Zorn et qu’il s’en tienne le plus souvent à l’ancienne tradition de la pose fixe et droite, il se rapproche d’eux par son goût pour les effets clairs et les procédés sommaires. Lui aussi aurait mieux fait de se faire juger sur trois morceaux : le Portrait de Mme E. Blanche vue jusqu’aux genoux, assise dans son intérieur, son chien sur ses genoux ; celui de Mme Abel Hermant, en pied, assise, en robe blanche et verte ; celui de M. Maurice Barrès, qui, tous trois, ont une tenue bien supérieure et dans laquelle le peintre a su