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jamais ému en écoutant les voix du ciel, des eaux et de la terre et tout ce que disent les vagues, les torrens, les vents d’orage, les insectes, les oiseaux, la plus belle symphonie du monde ne le touchera jamais. Cependant quelque impression puissante que produise sur nous la musique de la nature, à la fois exubérante et trop courte, elle nous étonne tour à tour ou ne nous suffit pas. Les passions qu’elle exprime ne sont pas tout à fait les nôtres ; elle a quelque chose de surhumain qui, après nous avoir ravis, nous dépasse et nous accable. Le murmure argentin des ruisseaux est un babil d’ondines à l’âme moqueuse, au rire sarcastique, qui nous disent leur secret dans une langue que nous ne comprenons qu’à demi ; elles ne l’ont versé tout entier que dans le cœur des poissons, peuple de muets. Les vagues mugissantes de l’Océan semblent faites pour bercer des songeries de Dieu, trop pesantes pour nos têtes, et le grondement de la foudre révèle des colères qui feraient éclater notre cœur s’il venait à les ressentir.

Tous les bruits de la nature sont en quelque sorte des voix élémentaires, qui semblent venir de loin, de quelque pays étranger, d’une contrée perdue que nous n’habiterons jamais. Notre imagination réussit à se persuader que les oiseaux chantent pour elle ; mais il se mêle de l’inquiétude aux plaisirs qu’ils lui donnent. Le sifflement éclatant des merles exprime des insouciances béates qui nous sont inconnues, un bonheur sans vicissitudes qui résume en trois mots sa brève histoire. Et après ? Il a tout dit. Par l’indicible fraîcheur de sa voix, par l’incroyable limpidité de son ramage, par ses prodigieux coups de gosier, par ses cadences et ses trilles, par les tours de force qu’il exécute sans aucun effort, le rossignol éveille en nous l’idée d’une puissance que rien ne fatigue. Ce miraculeux passereau n’a-t-il pas réduit au silence le saint homme qui fut assez imprudent pour le mettre au défi ? Évidemment il nous regarde de très haut, il ne daigne pas s’occuper de nous ; comment pourrait-il sympathiser avec nos faiblesses et nos lassitudes ? Il vit dans un monde où l’on n’est jamais las et dans lequel on peut se dispenser de dormir. Nous sentons bien que c’est la passion qui le fait chanter ; mais nos amours n’ont jamais cette certitude victorieuse ni cet éclat de fanfare. Les Grecs prétendaient qu’à la naissance des Muses, il y eut des mélomanes qui moururent de plaisir, et qu’ils furent transformés en cigales, insectes hémiptères qui ont le privilège de chanter sans manger ni boire jusqu’à ce qu’ils meurent. La chanson perpétuelle, monotone et stridente de ces timbalières ailées n’a rien d’humain ; on dirait le grésillement de la terre calcinée par le soleil, ou le cri d’une grande poêle dans laquelle frirait tout