Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

content de lui opposer Arnauld, il fit écrire à Fénelon cette Réfutation du système du père Malebranche sur la nature et sur la grâce, que l’on regarde comme le meilleur des écrits philosophiques du futur archevêque de Cambrai. Pour quelles raisons d’ailleurs cette Réfutation ne vit pas le jour, c’est ce que l’on ignore, mais c’est ce qui nous dispense aussi d’y insister. Il suffit que Bossuet, comme nous l’avons vu, l’ait corrigée de sa main, et que cette sollicitude nous soit un nouveau témoignage de l’intérêt presque personnel qu’il prenait dans la controverse. Elle en est un aussi de celui qu’il portait à l’abbé de Fénelon.

Ce n’était pas pourtant que les libertins eussent quitté la lutte ; et, sans parler de ceux qui promenaient leur incrédulité dans les salons ou dans les ruelles, dans les cabarets ou dans les cafés du temps, Bayle venait de donner ses Pensées diverses sur la comète, et Fontenelle allait écrire son Histoire des oracles, deux de ces livres où Voltaire, quelques années plus tard, devait apprendre à lire. Mais on sait, d’autre part, qu’à peine Bossuet avait-il terminé son Histoire universelle, il lui avait fallu s’occuper des affaires du gallicanisme. L’Histoire des variations était alors survenue, qu’il avait dû défendre, après l’avoir écrite, et justifier tour à tour contre les attaques des Basnage et des Jurieu. Grâces leur soient rendues de leurs attaques ! Nous devons au premier la Défense de l’histoire des variations, et, sans le second, nous n’aurions pas les six Avertissemens aux protestans, qui valent bien la Critique de l’École des femmes ou la Défense de l’Esprit des lois. Enfin, bien malgré lui, sur les instances réitérées de Fénelon et des amis de Fénelon, il était intervenu dans la querelle du quiétisme, dont au bout d’un an il s’était trouvé seul à porter tout le poids. A quoi si l’on ajoute un important diocèse à gouverner, un temporel à administrer, des religieuses à diriger, qui le fatiguaient de leurs infinis scrupules, ses fonctions aussi d’aumônier de la dauphine, on comprendra que, de 1681 à 1700, il n’ait pas pu donner aux progrès du libertinage toute l’attention qu’il aurait voulu. Mais il ne fut pas plus tôt délivré de tant de soins divers, qu’il revint à son idée maîtresse, et que, résumant toute sa morale dans ses Méditations sur l’Évangile, toute sa politique dans la Politique tirée de l’Écriture sainte, et tout le dogme enfin dans ses Élévations sur les mystères, c’est à rendre sa philosophie de la Providence plus claire encore qu’il employa ses dernières années.

Contentons-nous ici de le montrer dans sa Politique. On en a loué souvent, de nos jours même, avec autant de courage que de raison, le bon sens, la sagesse, l’esprit de modération et de paix. Qui a mieux parlé que Bossuet de l’amour de la patrie, avec plus d’éloquence, et je dirais volontiers avec plus de tendresse ?