génie et qui touchent plus fortement son cœur, il fait son choix : dans ce vaste univers ; les âmes qui savent chercher sont certaines d’y découvrir ce qu’elles aiment. Comme l’a dit Charles Blanc : « C’étaient les rians bocages qui attiraient Berghem, Ruysdaël les voulait sombres et mélancoliques, Hobbema n’en aimait que le côté agreste, il les voyait avec les yeux et l’humeur d’un braconnier. Albert Cuyp ne regardait les heureux rivages de la Meuse qu’au doux soleil de quatre heures ; van der Neer ne peignait les villages de Hollande qu’au clair de lune, voulant poétiser les chaumières par les lueurs et les mystères de la nuit ; Nicolas Poussin ne sentait se dilater son cœur que dans la campagne de Rome ; le Guaspre la tourmentait et y soufflait volontiers les orages ; Claude Lorrain la préférait tranquille, solennelle et radieuse. »
Non-seulement chaque artiste a ses spectacles favoris, il a sa façon propre de sentir, et comme il n’est point d’objet si simple qu’on ne puisse s’en faire vingt images différentes, sans qu’il soit possible de décider laquelle est la plus vraie, la vérité dans l’œuvre d’art est une vérité de sentiment, toujours particulière, individuelle, dont nous nous accommodons sans peine lorsqu’elle est persuasive. Calderon, Shakspeare, Racine ont mis des rois en scène ; ces rois, qui sont également vrais, se ressemblent bien peu. Glück et Mozart ont eu chacun sa manière de faire parler l’amour, et ni l’un ni l’autre n’a menti. « Une femme a passé dans les rues de Rome, dit encore Charles Blanc. Michel-Ange l’a vue et il la dessine sérieuse et fière ; Raphaël l’a vue, et elle lui a paru belle, gracieuse et pure, harmonieuse dans ses mouvemens, chaste dans ses draperies. Mais si Léonard de Vinci l’a rencontrée, il aura découvert en elle une grâce plus intime, une suavité pénétrante ; il l’aura regardée à travers le voile d’un œil humide, et il la peindra délicatement enveloppée d’une gaze de demi-jour. Ainsi la même créature deviendra sous le crayon de Michel-Ange une sibylle hautaine, sur la toile de Raphaël, une vierge divine, et dans la peinture de Léonard, une femme adorable. »
Rien ne nous est plus personnel que nos impressions, et toute œuvre d’art digne de ce nom est née d’une impression vivement ressentie et sincèrement rendue. Chaque profession a ses vertus ; la parfaite sincérité est la vertu professionnelle de l’artiste ; elle est pour lui ce qu’est la charité pour le chrétien, le respect de la justice pour le magistrat, l’honneur pour le soldat, la pudeur pour la femme. Quelque modeste qu’il puisse être, un talent parfaitement sincère ne nous parait jamais médiocre ; il ne ressemble qu’à lui-même, et les plaisirs qu’il nous donne, de plus grands que lui ne nous les donneraient pas. Un merle qui siffle des airs d’opéras ne nous amuse pas longtemps ; nous lui disons : « Merle,