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elle transperçait les armes et les guerriers ; elle s’attachait aux objets en bois, machines de sièges, ou navires. « L’eau, ajoute Ammien Marcellin, en excite la flamme et elle ne peut être éteinte qu’avec de la terre. »

Il suffisait que le bouclier en fût atteint pour que le guerrier, menacé par la flamme qui émanait de la hampe, fût obligé d’abandonner ses armes et de rester exposé à découvert aux coups de ses ennemis.

On trouve pareillement décrites dans la Mappœ clavicula, sous le nom de flèches porte-feu, des flèches creuses, dont la cavité était remplie par un mélange de naphte, de poix, de soufre, de sel et d’étoupe ; parfois même la tubulure était revêtue de cuivre, afin d’éviter qu’elle ne se consumât avant que la flèche produisît son effet. On voit que les armes de guerre des anciens n’étaient pas moins étudiées que les nôtres.

Les pots à feu ou marmites étaient des vases ronds, remplis d’étoupe imbibée avec un mélange de bitume liquide, de poix et de soufre, et pourvus d’une mèche soufrée ; on les lançait avec une machine. On s’en servait sur terre et sur mer, dès le temps des Rhodiens. On lançait également des pierres poreuses, après en avoir rempli les trous avec un mélange combustible et y avoir mis le feu. Les auteurs arabes, au temps des croisades, parlent de la « marmite de l’Irak, » remplie de résines enflammées et projetée avec un mangonneau. Ces lourds projectiles, envoyés avec des machines à fronde, ont été confondus parfois par les historiens modernes avec ceux que lancèrent plus tard les canons. Les mêmes noms ont été employés à l’origine pour ces deux ordres d’engins, par les chroniqueurs du XIVe siècle, qui ont appliqué aux premières pièces d’artillerie les dénominations usitées de leur temps pour les anciens engins. Il en est résulté dans l’histoire des origines de l’artillerie moderne une confusion qui n’est pas encore dissipée sur tous les points. C’est ainsi qu’on a attribué à tort aux Arabes d’Espagne du XIIIe siècle, et aux Chinois de la même époque, l’invention des canons, d’après des textes qui s’appliquent en réalité aux mangonneaux et aux arbalètes à fronde du moyen âge, projetant des pots et de grands carreaux incendiaires.

Non contens de décrire les projectiles de guerre, les auteurs anciens rapportent aussi les procédés à l’aide desquels on s’efforçait d’éteindre le feu allumé par ces projectiles, et même d’en préserver les objets inflammables. L’eau, d’abord, était tout indiquée ; mais son efficacité, comme je l’ai dit plus haut, fut bientôt annulée par l’emploi du soufre, des résines, poix, bitumes et huiles de naphte. Une fois imprégnées dans les objets, ou adhérentes à leur surface,