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soins pour avoir ce qu’il y a de plus nouveau, de meilleur goût et pour n’être pas prévenue sur une mode ! Ensuite les cartes, les billets qu’il faut écrire pour l’arrangement des parties. Tout cela mène jusqu’au dîner. On dîne… on ne dîne point, car il faut souper. Après, vient l’excessif travail d’une toilette faite avec toute l’attention que demande la nécessité de se bien mettre. À peine a-t-on fini, qu’on sort pour les spectacles : il faut toujours tout voir, ou plutôt être vue partout. Enfin on va souper, et la nuit se passe à cavagnole.

La Comtesse. — Et lorsque le jour paraît, si malheureusement on se trouve accablée de sommeil, il faut encore dire qu’on ne peut pas se résoudre à se coucher. Vous en direz tout ce que vous voudrez ; pour moi, je m’imagine qu’il y a beaucoup plus d’avantage (surtout pour les personnes paresseuses comme moi) dans le parti de ces brillantes retraites où l’on semble reprendre un nouvel éclat. Vous ne le croiriez pas, je suis quelquefois tentée d’en faire l’essai.

La Marquise. — Ah ! gardez-vous-en bien. N’y eût-il que le préliminaire, il est affreux : plus de rouge, plus de spectacles ; la parure est encore un article qu’il faut céder…

Le bouquet de la pièce, c’est la réponse de la comtesse lorsque la marquise lui confie que son amant Acaste a eu l’idée saugrenue de demander sa main : « Peut-être feriez-vous mieux de le prendre au mot. — Comment donc ? — Oui, de l’épouser pour vous en défaire. » Et la marquise s’empresse de suivre un si sage avis.

Quant aux lettres de Mme de Staal, elles soutiennent la comparaison avec ses mémoires et classent leur auteur parmi les maîtres du genre. Sentimentale avec le chevalier de Ménil, purement amicale avec M. d’Héricourt et Mme du Deffand, cette correspondance reflète à merveille sa nature d’esprit moralisante, un peu précieuse, tournée vers le marivaudage philosophique et le reploiement sur soi-même. Lorsqu’elle écrit à la marquise, le trait devient plus sarcastique, afin de se mettre à l’unisson, de guérir ses infirmités morales en l’amusant. Passer tout à ses amis et ne rien prétendre, prendre le temps, les choses, les gens, comme tout cela se trouve, se bien pénétrer de cette idée que la délicatesse augmente à mesure qu’on la sent et que ce sont les intervalles de plaisir qui font l’ennui, voilà sa recette, pas très différente en somme de celle de la duchesse de Choiseul[1]. Quant à l’altesse sérénissime, on l’égratigne de temps en temps, vengeance bien permise après toutes les meurtrissures supportées depuis trente ans, et l’on ne se gêne pas pour remarquer que les grands,

  1. Voir, dans la Revue du 15 août 1890, Mme de Choiseul et ses amis.