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couleurs de l’arc-en-ciel, jetait des éclairs, effrayait l’ennemi. Cette épée magique se trouvait dans l’île d’Avalon, au milieu de la mer sauvage. Un dragon veillait à l’entrée de l’île ; un aigle tenait l’épée dans ses serres, au sommet d’une montagne. Merlin, disent les bardes, savait les vertus de l’épée, il connaissait l’île, il y conduisit Arthur. Nouvel Orphée, il charma le dragon au son de sa harpe, il endormit l’aigle par son chant, et, pendant l’extase de l’oiseau, lui déroba l’épée Flamboyante. Ainsi le glaive magique fut conquis par la harpe divine[1]. Bientôt après, Arthur remporta sur les Saxons la grande victoire d’Argoëd, où Merlin combattit à ses côtés. A la rentrée triomphale de l’armée dans la forteresse de Kerléon, l’épée et la harpe entre-croisées furent portées par des pages sur un coussin rouge devant le roi et le prophète qui se donnaient la main. Et les bardes ont conté dans leurs mystères que cette nuit même Merlin vit en songe Radiance, l’ange de l’inspiration, qui lui parlait souvent par des voix, mais ne lui apparaissait qu’aux momens solennels de sa vie. Radiance mit un anneau au doigt de Merlin et lui dit : « C’est l’anneau de nos fiançailles, qui nous joint pour toujours. Mais garde-toi des femmes de la terre ; elles chercheront à te l’enlever. C’est le signe de l’amour éternel, c’est le gage de notre foi ; ne le donne à personne. » Et Merlin, plein d’enthousiasme, jura à sa céleste fiancée le serment d’amour éternel.

Ce fut l’apogée de la gloire d’Arthur et de Merlin. Mais déjà deux démons humains, masqués de grâce et de chevalerie, rôdaient autour d’eux. La femme d’Arthur, la reine Genièvre, cachait sous les apparences d’une grâce exquise et enjouée, une âme vaine, altière, remplie de passions violentes[2]. Lassé du roi son époux, beaucoup plus âgé qu’elle, insensible à sa grande noblesse, elle avait jeté les yeux sur son neveu Mordred, jeune homme ambitieux, rusé et hardi. Mordred, qui avait ménagé au roi l’alliance des Pictes et des Scots, jouissait de sa confiance absolue. Les amans s’entendaient secrètement depuis des années, mais, toujours menacés d’être surpris, ils en vinrent à désirer la chute et même la mort du roi. Mordred lui succédant, Genièvre espérait régner avec lui. Pour atteindre ce but, la reine et son amant préparaient sourdement la défection et la révolte. Ils avaient vu d’un mauvais œil la grande victoire d’Arthur qui contrecarrait leurs projets. Merlin en était la cause, il gênait leur complot. Mordred et Genièvre résolurent de perdre le barde.

  1. Taliésinn appelle le glaive d’Arthur « la grande épée du grand enchanteur. » — (Myvyrian, t. Ier, p. 72.)
  2. Son nom breton est Gwenniwar. « Elle était, dit Taliésinn, altière dans son enfance et plus altière encore dans son âge mûr. »