gardé les purs arcanes, la quintessence de la poésie et de la religion des Celtes. Plus mystique que rationnel, plus enthousiaste qu’habile, plus intuitif qu’artiste, plus musicien que peintre, plus poète que philosophe, le génie celtique est un grand voyant de l’âme et de ses mystères. C’est un prophète et non un conquérant ; et voilà pourquoi il a eu la destinée tragique de tous les prophètes, qui est d’être honnis et persécutés par ceux auxquels il dit la vérité, qu’ils en profitent ou non. Opprimé par la dureté latine, accablé par l’énergie saxonne, méprisé par la solidité franque, raillé par la légèreté gauloise, le génie celtique n’en reparaît pas moins de siècle en siècle, doux et indomptable, visionnaire sublime et déguenillé, toujours ressuscitant de ses retraites inconnues, toujours affirmant sa soif d’infini et d’au-delà, sa foi en l’idéal sanctionné par un monde divin, portant ce témoignage dans ses plus noires tristesses, dans ses plus sombres défaites comme dans ses désespérances les plus amères. Voilà sa malédiction et sa gloire.
Selon une vieille coutume celtique, consignée dans le code d’Hoël, il y avait trois choses sacrées qu’on ne pouvait saisir chez un homme libre : le Livre, la Harpe et l’Épée. — Or, que représente le Livre dans la symbolique des bardes et des initiés antiques ? C’est la tradition profane et sacrée avec tous ses mystères, c’est la science intégrale. — Qu’est-ce que la Harpe ? C’est le verbe vivant de l’âme, la parole sous toutes ses formes qui traduit les mystères du Livre ; c’est la Musique et la Poésie, c’est l’Art divin. — Et qu’est-ce que l’Épée ? Peu importe qu’elle se nomme Vercingétorix, Arthur ou Jeanne d’Arc, trouvée par le héros, consacrée par le chevalier ou transfigurée par la vierge héroïne et voyante, c’est toujours la volonté active, le courage viril et la force de la justice, qui mettent en œuvres les vérités du Livre et les inspirations de la Harpe. — Mais pour les diriger et les féconder tous trois, ne faut-il pas l’Étoile de la foi, ou la connaissance des choses de l’Ame et des principes de l’Esprit ? C’est la foi de l’âme, c’est la science supérieure, c’est la divine espérance qui manque à notre génération et que ses guides intellectuels ont négligé de lui enseigner, faute d’y croire eux-mêmes. Les prophètes de la matière et les grands prêtres du néant ne nous ont pas manqué. Nous aurions besoin des Taliésinn, qui réveillent l’âme en ses énergies profondes, qui l’épanouissent dans toute sa fleur, non des sceptiques ou des négateurs qui l’endorment, la dissolvent et la tuent. Car, quand l’étoile de la connaissance s’allume dans le ciel de l’humanité, alors seulement la harpe merveilleuse de l’Art divin émerge du lac magique de la vie. Que celle-là pâlisse, et l’autre s’engloutit.
EDOUARD SCHURE.