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alignement. L’artillerie nous criblait de mitraille. Le 1er  bataillon faisait grand feu ; je défendis au mien de tirer. Lorsque les ennemis furent très près, et alors seulement, je commandai un feu de bataillon. Les restes de ce régiment reculèrent. Je proposai au colonel de me précipiter à la course avec les voltigeurs, sur les canons des Anglais, pendant qu’avec le reste du régiment il chargerait à la baïonnette la ligne ennemie, qui se reformait pour revenir à la charge. Son infanterie de soutien était en désordre, j’aurais certainement réussi. Malheureusement le colonel n’osa pas prendre cela sur lui et nous continuâmes d’être mitraillés, l’arme au bras, sans pouvoir répondre. Enfin, mais trop tard et comme par boutade, le colonel Autié ordonna une charge en bataille. De leur côté, les Anglais se portaient sur nous. Je fis mettre à mon bataillon l’arme sur l’épaule pour être bien certain que personne ne ferait feu avant le commandement. Le 1er  bataillon et celui du 54e tiraient en marchant, avançaient lentement et en confusion. Je m’aperçus bien vite que, ces bataillons restant en arrière pour tirer, j’allais me trouver seul aux prises avec les Anglais ; je dus m’arrêter pour les attendre. Les Anglais paraissaient décidés à une charge générale de leur ligne. Une colonne d’attaque se formait en face de mon bataillon. J’avais bien prévu que leur principal effort se porterait sur moi, mais je comptais que mes flancs seraient couverts. À ce moment, toute l’aile gauche des Anglais se portait en avant, et je vis tout à coup le 1er  bataillon, placé à ma gauche, faire par le flanc droit et passer derrière le mien. Je demandai au commandant Lanusse ce que signifiait ce mouvement. Il me répondit qu’il lui était ordonné et que le colonel était tué. Je compris qu’il fallait que je supportasse seul l’attaque des ennemis, à laquelle je jugeais impossible de résister. Je n’avais aucun moyen de me retirer, en supposant que j’en eusse reçu l’ordre, mais personne ne commandait plus.

Je passai devant les restes de mon bataillon, réduit à un petit nombre, par les pertes subies depuis le commencement de l’action. Je prévins mes soldats qu’ils allaient recevoir une charge à la baïonnette ; qu’ils feraient feu à dix pas, et qu’aussitôt, sans recharger les armes, nous tomberions à la course sur les survivans des Anglais. Ils me promirent d’exécuter cet ordre.

Je voyais la ligne anglaise, à soixante pas, continuant d’avancer lentement, sans tirer. Il me semblait impossible de lui résister parce que je n’avais plus assez de monde. Sous l’influence d’une sorte de désespoir, je voulus me faire tuer. Je poussai mon cheval, qui était un vigoureux polonais, contre un officier anglais, à cheval, que je crus être le colonel du régiment qui m’était opposé. Je le