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mon service personnel. Il me donna son linge et me combla d’attentions et de soins de toute espèce.

Il se nommait Hervin. Il était Irlandais et cousin germain du colonel Busch.

Celui-ci mourut, peu de jours après, des suites de ses blessures. Ce jeune homme était fort riche et voyageait pour son instruction et son plaisir. Il était venu voir le colonel à Cadix. La mort de son parent abrégea son séjour.

Le 6 mars, des chirurgiens anglais visitèrent ma blessure. Ils me dirent que les os étaient fracassés et que l’amputation serait peut-être nécessaire. Tout fut préparé pour qu’elle eût lieu le lendemain. Ce jour-là, M. Hume, qui fut depuis le chirurgien du duc de Wellington, me présenta un autre chirurgien âgé, qui, disait-il, désirait examiner ma blessure. Il la découvrit, et, armé d’une sonde, l’étudia en tous les sens, puis il donna son avis en anglais, que je ne comprenais pas. M. Hume me le traduisit, en me disant :

— On ne vous coupera pas la jambe aujourd’hui, d’après l’avis de monsieur, on espère vous la conserver.

Et l’on se borna à me panser.

Le 8, lord Stanhope, aide-de-camp du général en chef de l’armée anglaise, se fit annoncer, et demanda à me voir. Il me dit « que le général en chef me priait de lui permettre de me faire une visite. » Je fus très surpris de cette demande. Je répondis que le général me ferait beaucoup d’honneur, mais que je ne savais à quoi attribuer cette distinction. L’aide-de-camp sourit et se retira. Une heure après, on m’annonça son excellence le général Graham, commandant en chef le corps d’armée anglais, à Cadix.

Ma surprise fut extrême, en reconnaissant, sous l’habit de lieutenant-général, ce même officier que j’avais été au moment de tuer à Barossa. Le général, qui remarqua mon émotion, me prit la main en me disant :

— Eh bien, monsieur, nous nous sommes vus de près sur le champ de bataille.

— Il est vrai, mon général, mais alors je n’avais pas l’honneur de vous connaître ; j’étais même très éloigné de penser que vous étiez le général en chef.

— Mais quel était votre dessein en vous approchant de moi ? Je le lui dis.

Il me répondit des choses très polies. Entre autres : que le jour du combat de Barossa, il avait éloigné ses aides-de-camp et son escorte ; qu’ayant remarqué un régiment français, qui repoussait toutes les charges, il s’était mis lui-même à la tête du 87e régiment anglais pour le conduire à l’ennemi, et que c’était