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au moment où il exhortait ce régiment à faire son devoir que j’étais venu à lui.

« Au reste, ajouta-t-il, tranquillisez-vous. Ici rien ne vous manquera. Je vais faire tous mes efforts pour vous faire échanger ; Je vais le proposer au maréchal Victor. En attendant, ma bourse vous est ouverte ; et si, contre mon attente, vous n’étiez pas échangé, et si j’étais contraint, par un ordre supérieur, de vous envoyer en Angleterre, vous iriez dans ma maison, en Écosse, où vous seriez reçu comme chez vous et traité comme mon fils. »

Je le remerciai avec effusion.

Le général Graham était de haute stature ; il avait les cheveux tout blancs et était encore alerte et très vif, quoiqu’il eût plus de soixante ans. Sa physionomie noble et ouverte m’avait inspiré le respect, même sur le champ de bataille.

Peu après que le général fut sorti, il entra dans ma chambre un homme vêtu avec une certaine recherche, parlant bien le français. Il me demanda si j’étais le colonel blessé du 8e régiment français ?

— Oui, lui dis-je.

— J’ai l’ordre de vous fournir, chaque jour, une table de six couverts.

— Vous plaisantez ! J’ai la fièvre et ne mange rien.

— Peu importe ! vous serez toujours servi.

— Mais qui êtes-vous ?

— Je suis Français, de Paris ; je suis le maître d’hôtel de son excellence le général Graham. J’ai des ordres !

— Allons, va pour la table de six couverts !

Elle fut fournie.

Il y avait, à l’île de Léon, plusieurs officiers du 8e et d’autres corps, blessés de coups de baïonnette et moins malades que moi, qui profitèrent de la libéralité du général anglais. Ce brave homme fit prendre de moi les plus grands soins.

M. Hume, mon chirurgien, craignant l’inflammation de ma blessure, avait prescrit qu’elle fût constamment arrosée par un filet d’eau froide. Elle était découverte et traitée sans charpie[1]. Malgré toutes ces précautions, je fus atteint du tétanos. Je voyais, j’entendais, mais je ne pouvais parler ni faire le moindre mouvement. M. Hume me dit :

— Vous avez le tétanos. Le seul moyen de vous sauver est de vous administrer des douches d’eau froide.

  1. C’est le traitement auquel le chirurgien-inspecteur Baudens a attaché son nom, en 1848 après les journées de juin. (P. V. R.)