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s’occuper des moyens de me faire échanger, mais qu’il espérait qu’en conséquence je voudrais bien lui désigner les personnes qui avaient préparé mon évasion.

Je lui répondis « que j’étais très sensible aux marques de bonté de M. le gouverneur, mais que je n’en pouvais profiter, s’il fallait lui nommer des complices, attendu que je n’en avais pas. »

Malgré cette réponse, il commença de m’interroger.

Je lui dis immédiatement « qu’étant prisonnier de guerre, libre de ma parole d’honneur que je n’avais pas donnée, j’avais pu chercher à m’échapper ; mais que, n’ayant commis aucun délit, je refusais de répondre à un interrogatoire. » Cet officier me dit alors : « Nous avons dans cette maison les moyens de vous faire dire de force ce que vous vous obstinez à taire. » Et il s’en fut. En réfléchissant à cette conversation, je me souvins de toutes les histoires que j’avais lues, en Espagne ou ailleurs, sur l’inquisition. Je compris que l’officier espagnol avait voulu me menacer de la question afin de me faire parler. Cela me donna quelques inquiétudes.

Le soir, mon domestique m’ayant apporté à manger, on lui ouvrit la porte de ma prison et il me fut permis de lui parler, mais on ne le laissa pas entrer. Je lui parlai à la porte.

Après avoir causé avec lui, je voulus rentrer dans mon cachot ; le geôlier s’y opposa. Il me dit que puisque j’avais communiqué, je ne pouvais demeurer avec un homme qui était au secret, mais qu’on me logerait ailleurs. Tout était plein, même l’escalier ; mon honnête alcade me dit « que si je voulais payer six piastres, je pourrais coucher dans une chambre qui ne contenait que vingt-cinq ou trente personnes, que, sinon, je serais logé avec la canaille, les voleurs et les assassins. » Je n’avais plus d’argent. Heureusement je vis là quatre officiers, trois Français et un Polonais, qui, s’étant évadés du fort Saint-Sébastien, avaient été repris. Ils étaient enchaînés par le cou et les jambes. Ils me trouvèrent six piastres, et je restai avec eux.

Ces quatre officiers étaient : l’un le colonel du 4e régiment polonais, les trois autres du 94e d’infanterie française. — Voici comment ces malheureux me racontèrent leur mésaventure.

Étant détenus, comme prisonniers de guerre, au fort Saint-Sébastien, ils recevaient assez souvent un prêtre espagnol, qui les visitait, les entretenait du ciel, et semblait prendre pitié de leur sort. Il leur disait « en secret » que, s’ils pouvaient se procurer une somme de 400 francs, il serait possible de préparer leur évasion. Ces officiers réunirent cette somme qu’ils s’engagèrent à compter au patron de la barque qui les conduirait à la côte occupée par les Français. Cette barque devait se trouver à minuit, à un