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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/118

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petit mot, était sur des braises, il étouffait. Quand elle eut enfin terminé, il allait ouvrir la bouche pour lui répondre, mais la clameur assourdissante des voix de femmes, pareille au chœur antique, lui coupa pour la seconde fois la parole.

Le maire, un peu inquiet de la tournure que prenaient les choses, se demandait déjà si, en qualité d’employé de l’Etat, il ne devait pas intervenir et protéger l’auteur du Grain de sénevé, dont les œuvres l’avaient lui-même si profondément impressionné ; mais, au moment où il s’apprêtait à sévir contre la rumeur féminine, on vit entrer dans l’église un nouveau personnage : c’était Klymaszko, le maître charpentier, venu précisément à Busowiska pour terminer quelque détail inachevé et juger encore par lui-même de l’ensemble de son œuvre.

Son entrée fut saluée par un soupir unanime de soulagement.

— Ah ! voilà Klymaszko !.. Qu’il décide entre nous !.. Qu’il soit notre juge !..

— Oui, qu’il soit notre juge, répéta le dyak Sorok avec un sourire de triomphe, c’est un vrai secours providentiel que le bon Dieu envoie là à Kurzanski !..

Le vieux charpentier commença par s’enquérir du sujet de cette grave querelle. Sans se presser, il s’approcha ensuite de l’autel où rayonnait la Madone de Nasta et la regarda attentivement. Mais, tandis qu’il l’examinait, son visage, toujours malicieux, esquissa un léger sourire, ses yeux se mirent à papilloter d’une singulière façon, et il avait l’air de murmurer quelque chose entre ses dents. Le peintre, qui suivait avec intérêt chaque mouvement de sa physionomie, interpréta tout de suite ce sourire à son profit, et s’attendait déjà à prendre une éclatante revanche sur l’impertinente Técla.

— Eh bien ! Klymaszko, demanda-t-il, avez-vous jamais vu une madone pareille ?..

— Pareille à celle-là, dit le vieux charpentier, sans quitter des yeux le tableau. Non, jamais je n’en ai vu de la vie. Et ses paupières se mirent à clignoter encore plus fort.

Si l’auteur du Grain de sénevé avait été plus perspicace, il aurait deviné tout de suite que, sous le fin sourire de Klymaszko, il y avait non point du mépris, mais bien de l’attendrissement. Il semblait lutter avec une émotion profonde qui le remuait jusque dans ses fibres les plus intimes.

Encore une fois il concentra sur le tableau toute son attention, s’en éloigna, s’en rapprocha, afin de bien l’embrasser sous toutes ses faces ; et, plus il le regardait, plus l’attendrissement le gagnait : là, au milieu de ce paysage qui faisait le fond du tableau, cette gracieuse église qui s’élevait, c’était sa cerkiew à lui, celle