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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/120

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REVUE DES DEUX MONDES.

La demoiselle se rapprocha nonchalamment, allongea son cou maigre.

— Oui, c’est bien elle, en effet, madame la comtesse.

— Non, non !.. ce n’est pas possible,.. je me trompe... Mes yeux voient mal... Sigismond n’a jamais eu une pareille audace !..

Il n’y avait pas à en douter, cependant ; c’était bien elle,.. Valentine,.. sa jolie cousine, qui était représentée sur cette toile. La comtesse reconnaissait l’ovale si délicat de son visage, ses grands yeux violets aux reflets sombres, la lourde tresse de cheveux blonds, d’une teinte si étrange, qu’elle tordait sur le sommet de la tête, et dont elle était si orgueilleuse. Oui !.. c’était elle !.. et ce n’était pas elle, pourtant ! car il y avait dans cette image quelque chose qu’on aurait vainement cherché dans la coquette mondaine ; et, d’abord, la beauté de Valentine n’était point aussi idéale, ses yeux brillaient d’une flamme plus terrestre et ne connaissaient point le rayonnement mystique de ce regard immatériel. Et l’expression voluptueuse de ses lèvres était loin du sourire maternel qui planait sur cette bouche si pure. Le front de la madone était plus élevé, plus sérieux que le sien, il reflétait une âme sereine ; celui de Valentine, au contraire, indiquait le triomphe insolent d’une reine de la mode.

Non,.. ce n’était point elle !.. la comtesse ne voulait pas l’admettre. Il y avait entre ces deux femmes un monde entier, ou plutôt un ciel !.. Et, se tournant encore une fois vers sa demoiselle de compagnie :

— Mademoiselle Pichet !..

— Madame ?

— Non, décidément, ce n’est pas elle !.. La demoiselle s’inclina :

— Vous avez raison ; ce n’est pas elle, en effet, madame la comtesse.

Dans tous les cas, c’était très mal à Sigismond d’avoir osé penser à un amour profane quand il peignait la reine des anges, celle qui est l’essence de la pureté divine. Mais, qui sait, peut-être l’avait-il fait sans le savoir,.. inconsciemment... il s’était souvenu,.. ou plutôt... il n’avait pas pu oublier !.. Dans tous les cas, ce n’était pas honnête. Le mot était peut-être un peu fort ; mettons que c’était bien étourdi !.. Sans doute le pauvre garçon avait voulu peindre une créature fictive, une Valentine telle que son cœur de poète la rêvait ; et, certes, il avait dû se dire maintes fois qu’il était plus facile de créer un idéal que d’essayer de corriger la réalité... Mais, peu importe, il n’aurait pas dû faire cela !.. C’était impie !.. sacrilège, cela offensait la religion. Comment n’avait-il donc pas craint de faire injure à la majesté divine en laissant de-