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— Vous ne devinez pas, dit-elle en attachant sur lui son regard pénétrant, vous ne devinez pas qui arrive ce soir ?..

Il poussa un long soupir. Un fugitif éclair de reconnaissance parut un instant dans ses yeux, le sourire de ses lèvres devint plus navrant encore, et d’une voix presque indistincte, il murmura : Valentine.

Puis, tout aussitôt, le pâle sourire s’effaça totalement de ses lèvres, et son visage redevint indifférent.

A ce moment on annonça l’arrivée du docteur de Lemberg, et la comtesse étant allée au-devant de lui, Nasta s’esquiva sur la pointe de ses pieds et alla s’asseoir tristement au seuil de la porte, où, la tête appuyée sur sa main amaigrie, elle attendit, abîmée dans ses noires pensées.

Elle était là depuis une heure environ, quand elle vit soudain sortir le docteur, qui remonta en voiture. Il avait l’air très sombre, la comtesse l’accompagnait, mais elle aussi était toute morne. Un peu plus tard, elle vit passer le curé latin en surplis blanc, suivi du bedeau, qui agitait la sonnette, et de l’organiste Wisnowski.

Il y eut encore beaucoup d’allées et de venues, dans la maison, mais peu à peu, tous s’en allèrent tristement, la maison redevint tranquille, tranquille... et Nasta comprit que c’était la mort... Alors, elle se couvrit le visage de son tablier, et tomba dans une sorte de prostration. Le soir arrivait déjà, quand un coup frappé sur son épaule la réveilla de sa torpeur. Elle ouvrit tout grands ses yeux, et aperçut devant elle une de ses voisines de Busowiska, pauvre et solitaire comme elle : la Kinaszkowa.

— Je suis contente de te trouver, Nasta, dit la vieille, ça fait que je ne devrai pas aller à la recherche de quelqu’un d’autre pour veiller et prier auprès du mort... la comtesse paiera bien...

Nasta la regarda d’un air hébété.

— Allons, viens donc, lui dit l’autre, puisque je te dis que la comtesse paiera !..

Elle se leva pourtant, et machinalement suivit sa voisine.

Elles trouvèrent l’organiste déjà occupé à allumer les cierges, tandis que la demoiselle de compagnie, une corbeille à la main, jonchait le lit de roses fraîches.

La Kinaszkowa était renommée dans tout le village de Busowiska, pour sa grande piété, et elle connaissait ses oraisons aussi bien qu’un clerc de paroisse ! Son premier soin fut donc de s’agenouiller, et elle commença tout aussitôt à marmotter ses prières, qui étaient longues, longues, et toutes différentes les unes des autres, à ce que remarqua Nasta avec admiration.

Mais elle, la pauvre femme, ignorait totalement comment on prie ;