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LA MADONE DE BUSOWISKA.

aussi, toute confuse, elle se taisait, regardant à la dérobée sa voisine, et quand elle pouvait saisir au vol un mot de prière, prononcé plus distinctement, elle le répétait à satiété dans sa pensée, avec une grande componction.

La nuit entière se passa de la sorte ; cependant, les prières de la Kinaszkowa devenaient de moins en moins distinctes, jusqu’à ce qu’à la fin la vieille cessa tout à fait de remuer les lèvres, et Nasta, que la fatigue et l’émotion avaient brisée, laissa également retomber sa tête sur sa poitrine et s’assoupit.

Les premières lueurs du matin commençaient à peine à rougir le ciel, quand un bruit léger, pareil à un frôlement d’ailes, réveilla en sursaut les deux femmes.

En un instant, elles furent sur leurs pieds, et regardèrent devant elles, les yeux fixes, la peau moite de frayeur.

Là !.. près de la tête pâle du jeune homme, quelque chose avait frémi,.. et maintenant une silhouette très distincte se dessinait. N’osant faire un mouvement, terrifiées d’épouvante, les femmes écarquillèrcnt les yeux, et soudain, dans la triomphale lumière de l’aurore naissante, le visage suave de la Madone moissonneuse leur apparut. Alors, pénétrées d’une respectueuse terreur, elles tombèrent la face contre terre, sans oser ni ouvrir les yeux, ni pousser un cri devant cette vision paradisiaque.

Quand la Kinaszkowa releva enfin la tête, la madone avait disparu, et seuls maintenant les rayons dorés du soleil se jouaient parmi les roses de la couche funèbre. Alors la vieille, abandonnant Nasta, qui ne pouvait revenir de sa stupeur, s’esquiva à la hâte, anxieuse d’être la première à annoncer à Busowiska l’apparition miraculeuse, et à s’agenouiller devant son image.

Nasta ne revint à elle que quand l’organiste et ses aides entrèrent pour monter le catafalque. Et comme elle ne bougeait toujours pas, elle vit également entrer la comtesse accompagnée de sa dame de compagnie. Toutes les deux se mirent à genoux devant le corps et prièrent longtemps.

A la fin, la comtesse, s’étant relevée, se pencha vers la demoiselle et demanda à voix basse, en français :

— Où est Valentine ?

— Elle vient à l’instant de repartir, madame.

— Comment, déjà ?..

Et la comtesse fronça violemment le sourcil. Mlle Pichet lui expliqua alors que Mme Valentine était arrivée au milieu de la nuit et qu’elle avait été si terrifiée, en apprenant la catastrophe, qu’elle avait refusé de se coucher ; qu’enfin, dès l’aube, elle avait voulu aller toute seule voir le pauvre monsieur ; mais que cette vue l’avait tellement bouleversée qu’elle n’avait pas prétendu rester