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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/156

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éveillait chez Daguerre, toujours plus ardens, le désir, le besoin, le vouloir de la sauver, l’espérance d’y réussir. Il la suppliait de se défendre, d’accuser son complice. Il la pressait ; des lambeaux de plaidoirie s’échappaient de ses lèvres ; et, sous la griserie de ses propres paroles, il se persuadait lui-même, atteignait à une foi si absolue qu’il ne doutait plus, la jurait innocente. Mais, inébranlable, elle semblait railler même son enthousiasme, avec un sourire énigmatique, où passait un moment le vol insaisissable de son âme. Qu’importait ? Quoi qu’il arrivât, quel que pût être le dénoûment du drame, l’issue du jugement, sa vie était finie. Elle se tuerait.

— Mais si vous êtes acquittée ?

— Je me tuerai encore, dit-elle avec son même sourire, en secouant la tête.


II.

Marie Morisset fut acquittée, dans une ovation.

A l’audience, elle avait gardé sa douceur résignée. Mais un mystère inéclairci planait sur le crime. L’amant en fuite s’éclairait d’un jour odieux ; et, du silence même de la jeune femme, du pli indéfinissable de sa lèvre pareil à un sourire très triste, de la confiance, détachée des choses de la terre, dont parfois son regard se levait vers le ciel, une sympathie s’était éveillée. Et cette sympathie avait achevé d’éclater sous la parole chaude et vibrante du défenseur.

Lui-même avait senti, au frisson de la salle, sa parole, portée par la foule, élargie, emplissant le prétoire. Il la jetait, comme un semeur le grain dans une terre fertile, à pleines mains, d’un vol toujours plus sûr, dans une conviction plus ardente, avec une foi plus haute. Et le jury, ébranlé, pris dans ses nerfs, l’avait sentie germer en lui, grandir, s’épanouir en une floraison de miséricordes assoupies, de mansuétudes ignorées, jaillie du fond des cœurs.

Mais, libre, Marie Morisset gardait une stupeur. Elle ne pouvait comprendre ce qui s’était passé, ne pouvait croire à son acquittement. Surtout, elle ne se décidait pas à vivre. L’avenir, tel qu’elle l’avait entrevu, dans les heures lentes de la prison, l’avait résolue à mourir. Et elle s’était accoutumée à la vision de la mort avec une telle certitude, en avait acquis même une telle sérénité, qu’elle se trouvait, tout à coup, sans une idée, le cerveau en déroute, avec un regret presque de ce revirement, la crainte peut-être que la mort lui fût moins facile, maintenant.