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Désespéré, tremblant de voir vaine l’œuvre de salut qu’il avait accomplie, Daguerre s’efforçait de remuer en elle quelque fibre qui pût la rattacher à la vie. Elle n’avait pas d’enfant, plus d’amour. Il plaida les apaisemens venus du temps, sa jeunesse et sa beauté, les années heureuses qui pouvaient se dérouler encore. L’âme humaine n’était qu’oubli et recommencement. Elle sortait de cette épreuve ainsi que d’un mauvais rêve, innocente à coup sûr pour lui, innocentée pour les autres par l’acquittement. Oh ! qui savait ? Le temps était le grand apaiseur des choses.

Il insistait, s’accrochant aux souvenirs qu’il connaissait de son enfance, aux rêves révélés de sa jeunesse. Il les déployait, les faisait flotter autour d’elle, montrant les bonheurs entrevus toujours accessibles, toujours debout à l’horizon.

— Oh ! murmura-t-elle, vous êtes cruel !

Il reprit :

— Vous êtes jeune, vous êtes belle...

Il prit ses mains, poursuivit, une hésitation dans sa voix plus grave :

— Qui vous dit qu’un nouvel amour, qu’un homme, ne se rencontrera pas...

Il s’arrêta. Une tristesse infinie, une douleur presque, s’épandait comme un voile sur le visage de la jeune femme. D’un geste doux, persistant, elle retira ses mains, y cacha son visage. Puis, un frisson tordit son corps, gagna ses épaules, s’acheva dans un sanglot brusque.

— Enfin ! pensa Daguerre.

Elle s’abandonnait au dos du fauteuil, si malheureuse subitement de cette évocation, que tout son cœur crevait. Lui, la laissait pleurer, penché au-dessus d’elle. Des larmes, des sanglots qui gonflaient la face de la jeune femme, une tiédeur montait, parmi l’odeur lente des cheveux. La crise se prolongeait. Il se pencha davantage, avec des paroles d’apaisement, des prières bientôt. Mais, par un effet nerveux, par un retour vers elle de sa propre souffrance réfléchie par cette souffrance voisine, le son même de la voix tombant sur elle redoublait ses pleurs. Elle se sentait plus malheureuse encore, sans savoir pourquoi, s’enlisait plus avant dans sa misère, en touchait le fond. Ses supplications à bout, Daguerre se rapprochait encore, cédait inconsciemment au besoin du geste qui naît des compassions profondes, de l’impuissance de la parole. Il étreignait les doigts de la jeune femme, y courbait ses lèvres, peu à peu, religieusement ; puis sa main se posa sur l’épaule, que des sanglots secouaient, effleura les cheveux du front, écartant des mèches éparses, d’un mouvement machinal dont ni l’un ni l’autre